Avant-critique Roman

Jean Echenoz, "Bristol" (Les Éditions de Minuit)

Jean Echenoz - Photo © Mathieu Zazzo

Jean Echenoz, "Bristol" (Les Éditions de Minuit)

Rentrée littéraire

Comédie noire où la fantaisie le dispute à une certaine mélancolie, Bristol retrouve Jean Echenoz au meilleur de sa forme.

Parution 2 janvier

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Par Olivier Mony
Créé le 30.12.2024 à 09h00

Un drôle de monde. Un écrivain, c'est un type qui voit ce que l'on ne sait plus regarder. Et c'est un type qui montre. Jugeons-en : « Dans les trains, quand il en prend un, Robert Bristol se propose toujours de regarder le paysage pour observer comment s'opère le passage de la ville à la campagne. Or ce glissement n'est pas si simple : on se croit chaque fois sorti de l'une sans avoir pour autant pénétré l'autre. C'est que la banlieue complique ce projet, la transition n'est jamais nette, des lotissements contredisent des silos, les parkings d'entreprise réfutent les fourragères, un supermarché discount désavoue un épandeur d'engrais. On ne sait pas trop où l'on en est avant qu'enfin se déploie la campagne authentique : champs sillonnés en attendant qu'y pousse va savoir quoi, forêts, bosquets, boqueteaux serrés les uns contre les autres et qu'envie à distance un petit arbre solitaire en bord de route, dépressif et compassionnel. » Voilà, Jean Echenoz, montreur d'ombres et de mondes mouvants, est un écrivain, et ceux qui l'aiment prendront le train de Bristol, son nouveau roman.

Rien de plus vain, a minima acrobatique, que d'essayer de résumer un roman d'Echenoz. Surtout lorsque, comme c'est ici le cas, l'auteur des Grandes blondes (Minuit, 1995) laisse totalement libre cours à sa fantaisie, à son goût des marabouts de ficelles et à celui de la mélancolie des voyages. Essayons tout de même et commençons par le commencement. Bristol donc, Robert Bristol, résident parisien de la rue des Eaux (16e arrondissement), cinéaste un peu entre deux eaux justement, entre deux films, entre deux âges (la quarantaine, disons). Le lecteur le découvre alors que, sortant de chez lui, un homme s'écrase presque à ses pieds, précipité depuis la fenêtre de l'appartement au-dessus du sien. Cela va être pour Robert le premier acte d'une suite de mésaventures qui vont, plusieurs mois durant, bouleverser sa vie, l'obliger à mettre fin à sa carrière et le trimballer de Paris à Nevers, de la cabine d'un bateau à quai à une Afrique qui serait un peu celle de Raymond Roussel. Une ancienne actrice sur le déclin, une scripte qui deviendra chauffeuse de taxi, une autrice de best-sellers, un policier assez falot, un redoutable chef milicien et un éléphant auront aussi un rôle à jouer dans cette déconfiture. Tout finira bien par s'arranger, il suffit parfois de se faire oublier, de s'abandonner au passage des jours...

C'est comme si ici Echenoz se laissait aller (ainsi qu'il l'avait déjà fait dans son précédent roman, Vie de Gérard Fulmard, Minuit, 2020) à une pure jubilation romanesque. C'est le meilleur du roman policier, du roman de genre, revu et corrigé par la fantaisie d'un film de Blake Edwards. Le romancier ose tout, sans se soucier de vraisemblance (si ce n'est celle des lieux, des objets, précisément décrits et nommés dans un hyperréalisme qui est également un art poétique), guidé par son seul bon plaisir, qui sera assurément aussi celui du lecteur. Marionnettiste génial, Jean Echenoz orchestre la folie, et finalement la douce mélancolie, de ce petit monde comme saisi d'une danse de Saint-Guy romanesque. C'est un régal.

Jean Echenoz
Bristol
Les Éditions de Minuit
Tirage: NC
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782707355928

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