En ce temps-là, une vedette de la chanson, c'était une fille comme vous et moi... Avec peut-être plus de chance, plus de voix, plus de talent, plus d'envie et parfois, plus de chagrin. Autrement, tout pareil, en ces années 1980 où punk rock et new wave offraient un horizon à des gamins issus des beaux quartiers ou des cités populaires et déterminés à s'offrir un avenir sexy, chic et parfois fatal. En ce temps-là, des chansons, des ritournelles, venaient de temps en temps crever l'écran des solitudes rock. C'était pour une semaine ou c'était pour toujours. Pas de différences. Parmi elles, celles d'une fille brune à la belle voix jazzy assez profonde qui chantait sur d'impeccables accords pop qui faisaient la joie du Top 50, Natalie Wood ou Tout c'qui nous sépare. La fille en question était belle et n'en faisait pas toute une histoire, ce qui était assez reposant. Elle s'appelait Jil Caplan, de son vrai nom − mais qui s'en souciait ? − Valentine Guillen-Viale.
Perdue de vue, bien sûr. Le temps a passé, les refrains se sont estompés. Jusqu'à aujourd'hui où celle qui est toujours chanteuse devient pleinement auteure avec la publication de ce premier récit au titre que l'on croirait offert par Radiguet ou Sagan, Le feu aux joues. Qu'y raconte-t-elle ? Sa vie qui, partant, est aussi un peu la nôtre, celle d'une génération. Sa vie en vingt-trois chapitres soit autant de disques, d'albums, de chansons qui l'ont aidée, de Bowie à Prefab Sprout en passant par Ferrat, Bach ou Chopin. C'est tout un monde qui revit alors, celui d'une gamine du vingtième arrondissement de Paris, issue d'un milieu à la fois modeste et libertaire, qui se réinvente à travers le rock et ses succédanés. Une vie de chambres de bonne, de concerts pourris, de rencontres amoureuses et artistiques, de premiers voyages, premiers amours, premier enfant, que vient percuter la machine parfois amère de la notoriété.
Qu'importe, c'est de vivre qu'il s'agit et à cela, Jil Caplan s'y entend pleinement. Comme elle a de la mémoire et du style, son livre est une délicieuse réussite. On se faufile à ses côtés auprès d'un Brian Wilson hagard et dévoré par ses démons, ou le long de grotesques et harassantes tournées, d'été ou non, pour des radios amatrices de chairs et de voix fraîches, on y découvre l'Amérique auprès de Little Bob, le rival du Havre, Daniel Darc promène son mal de vivre, et les nuits blanches le sont parfois un peu trop. Toujours, Jil Caplan tient la note avec humour et élégance. Un peu de spleen aussi, ce qui ne gâche rien.
Le feu aux joues
Robert Laffont
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 € ; 198 p.
ISBN: 9782221254486