À plumes égales : Quel écrivain êtes-vous ?
Joffrey Lebourg : J’ai toujours été un grand lecteur, d’abord de fantastique. En tant qu’écrivain, j’aime inventer des mondes complexes et complets. Je n’en suis pas à ma première série littéraire non plus, donc cela m’a donné l’expérience d’écriture. Je me suis lancé ici dans la création d’un monde, en choisissant un biais de facilité quand même, c’est-à-dire de faire des balades, avec des paysages assez stéréotypés pour chaque continent. C’est aussi un choix qui s’explique dans l’histoire : les dieux ont structuré le monde de telle manière qu’il y ait un continent très riche en forêts, un continent aride, un continent plutôt dans les plaines et les collines, etc. Ce qui permet à chaque tome de faire varier un peu les paysages que les personnages ont à explorer. Je ne peux pas omettre complètement un paysage : je ne vais pas mettre sur une carte qu’il y aurait un désert au Sud et ne jamais y aller ! Là, les personnages sont obligés de passer par tous les milieux. Ce qui permet aussi d’introduire de nouvelles créatures fabuleuses et de nouvelles races humanoïdes qui vont être plutôt endémiques de chaque endroit.
D’où vous est venue l’idée des Sept Reliques ?
Principalement de mes nombreuses lectures dans ce genre-là, même sur d’autres supports. Cette veine de médiéval fantastique est quand même très utilisée en film, en jeu vidéo aussi. Et comme j’ai une excellente mémoire, j’accumule beaucoup de pistes et ça me permet ensuite, en agrégeant, de travailler sur ces différents milieux que j’invente. Après, il y a eu beaucoup de travail de préparation, notamment pour dessiner toutes les cartes et savoir exactement ce que j’allais y mettre. Dans ma vie de tous les jours, je suis quelqu’un qui procède beaucoup comme ça, par organisation et par notes. Mais cela me permet ensuite de faire plus vite, parce que j’ai moins à me préoccuper de ça. Ce très gros travail de préparation en amont m’a pris de longs mois, pour vraiment créer une société médiévale dans différents paysages.
Est-ce que la suite est déjà écrite ?
J’ai déjà beaucoup de notes. Plus le tome suivant est loin, moins c’est précis. Mais il est vrai que j’ai quand même déjà de très bonnes bases solides, avec une idée générale du temps que cela va prendre, des lieux que les personnages vont pouvoir visiter, des créatures qui peuvent être rencontrées. Je n’en suis pas non plus encore au tome six ou sept… J’ai tout de même une direction globale qui est assez indéboulonnable. Il y a des détails qui ne sont pas encore fixés, bien sûr, mais j’ai une bonne idée. Je considère de toute façon qu’on ne peut pas vraiment se lancer dans un projet d’écriture si on ne sait pas comment ça se termine, si on ne sait pas où on va. Il peut y avoir des doutes, bien sûr, ça peut prendre des détours inattendus. Cela m’arrive de me laisser surprendre aussi. En tout cas, j’ai un bon fil rouge.
Vous essayez de produire un livre tous les six mois ?
Pour le moment, je m’y suis tenu. Je vais essayer de garder ce rythme de production. Parce qu’en effet, un livre par an, ce serait vraiment trop long, l’intérêt des lecteurs finirait par s’étioler. Le fait d’avoir toutes ces notes me permet d’écrire assez vite, sans trop me poser de questions sur ce qu’il va se passer. Je n’ai plus qu’à remplir les blancs et à mettre bien en forme toutes les actions et descriptions. Cela me permet d’avoir un rythme qui est beaucoup plus rapide. Donc, tant que je le peux, je vais essayer de tenir les délais entre six à neuf mois. J’écris par périodes, surtout quand j’ai l’inspiration qui me démange. Et ça, c’est tout mon temps libre. Quand je peux avoir du temps pendant plusieurs jours, parfois même plusieurs semaines, je reste vraiment absorbé. Et puis après, je vais faire une pause pour me ressourcer par de la lecture. Donc ce n’est pas vraiment le quotidien, c’est plutôt par périodes intenses.
Le personnage principal est Cordélia. Pourquoi avoir choisi un personnage féminin ?
Dans l’heroic fantasy, les personnages, ce souvent principalement des hommes. Je ressentais l’envie – et même dans un souci de renouveler le genre – d’essayer de rendre féminin ce personnage qui, je pense, avait quand même beaucoup plus de choses à dire aussi. J’aborde des thèmes de société, notamment le féminisme, et c’est plus intéressant de prendre une femme dans un système patriarcal, où l’on voit un peu le super-méchant qui englobe tous les autres. Ce sont des figures assez symboliques, en fait. Je suis un grand passionné de mythologie. J’ai fait des recherches et, sur une quarantaine de panthéons de notre monde, on se rend compte qu’il y a principalement des déesses ; c’est vraiment la figure de la maternité de la femme qui donne naissance aux dieux, tandis que les créatures méchantes, les démons, sont quand même plutôt des hommes. Je n’ai pas inventé ces approches, c’est dans la plupart des cultures. Je reprends une femme pour incarner le bien et un homme pour incarner le mal. Ça s’est imposé de manière très naturelle. Ici, nous avons un trio de femmes au centre d’un monde patriarcal.
Dans vos histoires, il y a des sujets de société, de l’aventure, mais aussi de l’humour ?
Il le faut bien, car cela permet aussi l’évasion ; c’est quelque chose qui a toujours été important dans mon écriture. J’ai toujours écrit des personnages qui voyageaient dans des décors assez différents parce que pour moi-même, quand je lis, j’ai besoin de m’évader de la réalité. J’aime aussi prendre le contrepied de certains stéréotypes. Les compagnons de mon héroïne ne sont pas là juste pour donner la réplique et faire de l’humour. Ils ont même tendance, dans les premiers tomes, à prendre le pas sur l’héroïne, qui est encore une jeune fille qui doit tout apprendre. La quête initiatique, ce n’est pas juste la perte de son innocence, ça passe par les thématiques que j’ai voulu creuser vraiment à fond, comme par le fait de mettre des femmes au centre de l’action. J’utilise, pour me démarquer, un peu de tout ce qui a pu être fait depuis Tolkien, tout en conservant cette base volontairement archétypale.
Pourquoi sept tomes sont prévus, et donc sept reliques à trouver dans l’histoire ?
En magie, on retrouve souvent les mêmes chiffres : trois pour la trinité, ou douze pour les signes astrologiques… Dans un cas comme dans l’autre, c’était trop court ou trop long ! Sept était un bon chiffre, sans raison particulière. Donc là, sept reliques, sept tomes, cela me paraissait bien d’avoir sept continents à explorer à chaque fois. Mais la relique n’arrive pas toujours au même endroit. C’est plutôt à la fin pour le premier tome, alors que dans le deuxième tome on est presque au milieu. Je ne fais pas de l’obtention de la relique la fin de mon histoire à chaque fois. La fin de l’histoire, c’est d’arriver au port de départ et de pouvoir passer au prochain conte. Et donc les événements n’arrivent pas forcément dans le même ordre. C’est aussi quelque chose qui me permet de dynamiser un peu et d’éviter de faire une structure trop répétitive et assez prévisible. C’est presque un exercice de style, en fait. Et voilà aussi pourquoi Cordélia, notamment, a quand même un gros potentiel d’évolution. Les épreuves vont en difficulté croissante ; plus les tomes défilent, plus elle sera prête à affronter des choses de plus en plus dures. L’histoire va volontairement tendre vers un côté sombre et adulte. Et c’est ça qui est intéressant, c’est qu’elle évolue elle-même. Donc j’adapte vraiment tout au fur et à mesure : à la fois la vision du monde, les épreuves de Cordélia et son gain en maturité. Le but n’était pas, dès le premier tome, d’avoir quelque chose qui serait trop dur pour elle, qu’elle ne saurait pas gérer. Alors bien sûr, après, les gens s’étonnent, car elle n’est pas très héroïque dans le premier tome ! Non, parce que pour faire sept tomes, il va bien falloir que je garde un peu de vie pour la suite… Donc son évolution est progressive et plutôt continue, de manière linéaire. Cette évolution s’apprend aussi par le voyage. C’est vraiment l’ADN de mon écriture.
Est-ce que vous avez d’autres passions et centres d’intérêt ?
J’ai un grand intérêt pour tout ce qui est folklore, mythologie, à la fois les créatures fabuleuses et les divinités… mais aussi tout ce qui concerne la pop culture. J’ai également une grande passion pour l’Histoire, ce qui nourrit aussi l’écriture ; et enfin, je suis passionné par les animaux. J’ai par ailleurs fait quatre ans d’études en sciences, en biologie. Mes connaissances de biologie animale me servent à inventer des créatures, ou en tout cas, les décrire. Il y a toujours quelque chose qui va servir à alimenter le texte : tout ce que nous sommes et notre parcours, notre métier, nos connaissances servent forcément pour faire un livre. Donc j’y reviens toujours. Toute ma vie est vraiment axée sur cela : l’écriture.