Elle n'écrit pas de SF. Pourtant, Johana Gustawsson, qui compte désormais parmi les valeurs sûres du thriller français, excelle à voyager dans le temps. Les intrigues de ses romans, dont la trame principale se déroule au XXIe siècle, ont de longues racines, qui percent des mystères de décennies en siècles. Dans ses précédents ouvrages, elle nous a embarqués au cœur de la Shoah, dans le Londres de Jack l'Éventreur ou en pleine guerre civile espagnole. Nous marchions dans les pas de sa profileuse fétiche, Emily Roy, qui tire sa révérence pour laisser la place à une nouvelle enquêtrice, Maxine Grant. Exit également l'Angleterre et la Suède, où se déroulaient principalement les intrigues précédentes, et direction le Québec. Maxine est appelée sur une déboussolante scène de crime. Pauline Caron, son ancienne institutrice, a été découverte au chevet du corps de son mari, qu'elle aurait lardé de coups de couteau. L'image lisse du couple Caron est bientôt dissipée par la découverte de sept mains coupées, disposées dans des boîtes dans diverses pièces de leur maison.
Que diable fabriquaient ces retraités ? « C'est comme dans Macbeth : tout commence par une rencontre, une rencontre prophétique avec une sorcière », commente un personnage du livre. Et tout commence à l'aube du XXe siècle, dans un Paris très cossu où deux petites filles disparaissent, volatilisées à la suite de l'incendie de leur hôtel particulier. Lucienne, leur mère éplorée, espère trouver la trace de ses enfants dans le spiritisme, qui connaît son heure de gloire dans les cercles chics de la capitale. Les séances la mèneront vers des rencontres équivoques et de bien étranges rituels...
Salsa du démon
De chapitre en chapitre, Johana Gustawsson entremêle l'enquête de Maxine et l'histoire de Lucienne à celle de Lina, une adolescente harcelée par ses camarades dans le Québec des années 1950, qui trouve refuge auprès d'une pensionnaire âgée de l'asile psychiatrique où sa mère est infirmière. La bienveillante aïeule possède des grimoires et des clés, des formules et des secrets d'alcôves, dans lesquelles Lina puise une force nouvelle. Dans cette intrigue où planent les ombres de Mesmer et d'Aleister Crowley, le diable lui-même semble murmurer aux oreilles des personnages, promettant monts et merveilles à celles qui sauront se soustraire à la domination séculaire d'une Église qui condamne les femmes à des destins minuscules.
Mais Satan est exigeant avec ses servantes, et a soif de sang innocent. Sur fond de sorcellerie, Te tenir la main pendant que tout brûle soulève des questions chères à Johana Gustawsson : le désir, ou le non-désir d'enfant, le poids de la domination masculine et la charge épuisante d'être femme, mère et indépendante. Page turner d'une redoutable efficacité, ce roman possède un double-fond digne de la haute prestidigitation, où se nichent des réflexions puissantes sur la violence féminine et les sentiments ambivalents qui traversent les héroïnes, qu'elles soient sorcières ou bonnes fées.
Te tenir la main pendant que tout brûle
Calmann-Lévy
Tirage: 11 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 360 p.
ISBN: 9782702181768