2 mars. Jusqu’à présent, mon équipe et moi pratiquons la méthode Coué. Nous sommes à un mois du festival et nous répondons à qui nous interroge, que, bien sûr, le festival aura bien lieu, et pour le moment tout se déroule parfaitement bien.
5 mars. Je suis à Paris pour une réunion au Centre national du livre. Arrivée sur les lieux, on me prie avant toute chose d’aller me laver les mains. Les discussions ont pour objet la rémunération des auteurs. De nombreux festivals sont présents. Après la réunion, nous profitons d’être réunis pour boire un verre. Je fais part pour la première fois de mes inquiétudes concernant une annulation, et je songe aux milliers de Corses partis en vacances d’hiver en Italie, où la situation s’aggrave. L’équipe de Lyon BD y pense aussi. Ils sont situés, dans le calendrier, au début du mois de juin…
9 mars. Avec le recul, je dirais que, comme tout le monde, j’ai mis du temps à comprendre ce qu’il se passait vraiment. Je prends conscience de la gravité de l’épidémie très progressivement, mais je n’ai pas envie de lui céder une once d’énergie. Je me concentre sur l’accomplissement de ma mission la plus importante de l’année: mener à bien BD à Bastia. Mais ce lundi, je sens bien que le curseur se déplace tout seul : l’Italie vient de décider le confinement pour 10 millions de personnes au nord du pays.
11 mars. C’est mon anniversaire. L’Italie est passée au confinement généralisé. Margaux Othats et Marion Duclos sont à Bastia pour leur dernière semaine de résidence à l’école. Depuis novembre 2019, elles sont intervenues une semaine par mois. Elles ont déjà bravé deux tempêtes et surmonté l’une des nombreuses périodes de grève contre la réforme des retraites. Les retours sur cette expérience avec les enfants sont d’ores et déjà superbes, sans compter tout ce temps si bien partagé.
« Une zone floue, particulièrement stressante »
Mais ce mercredi, la pression est montée d’un coup. Comme si j’avais engrangé maintenant assez d’indices pour comprendre que ma position du coûte que coûte est intenable. Difficile aussi de conserver la motivation de l’équipe qui perçoit le glissement. Nous devrions être sur notre dernière ligne droite, dans l’effervescence du bouclage, alors que l’ambiance se tend autour de nous.
Je passe un coup de fil à un contact à la préfecture de Haute-Corse pour prendre le pouls. Elle me confirme que les choses sont mal engagées pour début avril, même si pour l’instant aucune mesure officielle n’interdit l’ouverture des expositions et l’arrivée des auteurs invités. Le président de la République doit faire une allocution le lendemain soir, nous en saurons plus alors.
Je reste dans une zone floue, particulièrement stressante, car on ne me donne pas de règle précise et définitive pour tout annuler. En tant qu’organisatrice j’ai besoin de m’appuyer sur des mesures fermes. Ces mesures tardent, puis changent quasiment d’heure en heure. Je m’adapte : pas de visites scolaires ? Soit 4 000 visiteurs en moins… Oui, mais nous pouvons encore aller au bout du montage des expositions, les ouvrir plus longtemps au printemps…
Je tâtonne avec l’équipe jusqu’à ce qu’enfin nous entrions dans cette période de strict confinement.
« Et l’école à la maison qui prend un temps fou »
Les choses s’organisent rapidement : se réunir avec le bureau de l’association pour aborder la situation de manière coordonnée, prévenir les auteurs, les éditeurs, les partenaires, les prestataires, la presse et le public de l’annulation, en annonçant que nous avons jusqu’à décembre 2020 pour fêter l’année de la bande dessinée et que nous établirons un nouveau calendrier pour cette programmation qui représente un an de travail. J’écris aussi un mot particulier à nos prestataires et partenaires pour lesquels le confinement représente un énorme risque économique.
Les affiches du festival viennent d’être livrées, les rouleaux de moquette pour les expositions patientent dans le hall d’entrée… Avant de fermer le centre culturel pour un long moment, je prends le temps de faire des provisions d’albums pour tout le monde à la maison, trois piles énormes tirées des vingt-sept éditions de BD à Bastia, que je dois charger dans la voiture. Au bout de trois semaines, elles sont déjà bien épuisées.
Passer de semaines de travail de 55 heures au temps suspendu, cela ne va pas être évident. C’est sans compter sur les échanges suivis autour de l’annulation, la mise en place du télétravail, le temps passé à prendre des nouvelles de la galaxie du centre culturel, et l’école à la maison qui prend un temps fou.
Pour le moment, nous sommes en quelque sorte privilégiés : nos partenaires financiers se sont tous engagés à maintenir leurs aides. Les salaires de l’équipe sont assurés et nous pourrons également rémunérer les interventions des auteurs comme si BD à Bastia avait eu lieu. C’est déjà faire en sorte qu’un certain nombre de repères, sécurisants, subsistent. Je peux donc continuer à me projeter : les deux spectacles programmés dans le cadre de BD à Bastia sont à nouveau fixés à l’automne, je poursuis mes demandes d’aides pour 2020 et 2021, une nouvelle résidence en perspective, au collège cette fois-ci. Ma to-do list n’en finit pas de s’allonger. Cela me permet de m’extraire du contexte, et d’envisager la réalité de manière positive. »
Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr