Beaucoup d'appelés, peu d'élus et voilà près d'un siècle que cela dure. Près d'un siècle qu'avec un succès divers, les grands écrivains américains, de Fitzgerald à Franzen, de Mailer à Roth, de Dos Passos à Salter, de Ford à McInerney, s'astreignent à l'exercice impossible et fascinant à la fois de livrer ce great american novel qui dirait tout de leur pays, de son espoir et de sa chute, de son éternelle poursuite du bonheur... Travail toujours en cours, comme en témoignent les œuvres de quelques-uns des plus brillants représentants de la jeune génération, Jonathan Safran Foer ou Jeffrey Eugenides. Ou Kristopher Jansma.

Il était sans doute déjà un peu question de cela, de cette question du dernier inventaire avant liquidation, dans l'admirable New York odyssée (Rue Fromentin, 2017) qui, avec plus de 100 000 exemplaires vendus en France, tous formats confondus, fut un inattendu – autant que mérité – succès de librairie. Seulement, comme nul n'est prophète en son pays, Jansma connut un succès que l'on qualifiera poliment d'estime sur sa terre natale, ce qui explique qu'aujourd'hui son nouveau roman Les idéalistes paraisse d'abord dans sa version traduite en français avant toute publication aux États-Unis. Le paradoxe n'est pas mince dès lors qu'il est permis de penser que Les idéalistes se confronte d'abord à la question si tourmentée de l'identité américaine.

Ce serait donc l'histoire, de nos jours, d'un homme un peu timide, gentil, discret, très intelligent, le narrateur. Il vient de perdre son père dans des circonstances tragiques, ainsi que son travail d'enseignant à l'université. Il est mûr pour une cause, une espérance. Celle-ci se présentera sous l'apparence d'une charismatique députée latino, Teddy Ruiz, et surtout sous celle de sa plume et de son plus proche conseiller, Waldo Woodson. Waldo, ogre maladroit, monstre d'érudition, vif-argent, est tout à la fois. Un fils perdu d'Amérique, qui épouse de son pays autant l'indéfectible croyance en une seconde chance toujours possible que la part d'ombre qui pourrait se révéler la plus tragique. Entre les deux hommes que rien ne rapproche si ce n'est sans doute la fréquentation des plus hautes solitudes, une amitié va naître. Mais le temps sera assassin et les secrets peineront à le rester...

Si le roman de Kristopher Jansma est aussi ample que son propos, l'auteur n'oublie jamais, par morale de romancier, de rester à la hauteur de ses personnages. Et puis, à travers le destin de ces plumes politiques, n'est-ce pas aussi l'idée que les mots peuvent toujours changer le monde dont il est ici question ? Affaire et romancier à suivre.