LBruno Racine quittera le 2 avril, au terme de son troisième mandat, la présidence de la Bibliothèque nationale de France (BNF) qu’il occupe depuis 2007. Au cours de ces neuf années - une longévité exceptionnelle à ce poste -, cet homme discret et affable, mais aussi opiniâtre, a incontestablement fait souffler sur la BNF un vent de modernité. Grand commis de l’Etat, il s’est investi avec force dans les dossiers prioritaires pour consolider le rôle de premier plan de son institution. Quitte à prendre parfois des décisions qui ne font pas l’unanimité, comme le recours à des financements privés pour des programmes de numérisation ou pour la construction d’une nouvelle entrée du site François-Mitterrand, financée par le groupe des cinémas MK2 en échange d’une réserve foncière accordée pour trente ans.
1. Numérisation de masse
Sous l’impulsion de Bruno Racine, la numérisation, pratiquée jusque-là de manière artisanale, est passée à une échelle industrielle. Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, proposait 70 000 documents à son arrivée. Elle en compte aujourd’hui 3 millions, de tous types, car le président a rapidement décidé d’ouvrir les programmes à d’autres supports que les imprimés. En 2013, il conclut, dans le cadre des investissements d’avenir de l’Etat, deux accords avec des opérateurs privés via la filiale BNF-Partenariats, créée pour l’occasion. Le premier, signé avec ProQuest, porte sur la numérisation de 70 000 ouvrages anciens. Le second, avec Believe Digital et Memnon Archiving Services, concerne un fonds de 200 000 disques vinyles. En échange, les prestataires obtiennent l’exclusivité de l’exploitation des documents numérisés pendant dix ans, ces derniers étant consultables librement uniquement dans les locaux de la BNF. Cette concession soulève un tollé parmi les associations de professionnels de l’information et de la documentation, qui dénoncent la mainmise sur des ouvrages du domaine public. "C’était ça ou rien, justifie aujourd’hui Bruno Racine. Nous n’aurions jamais eu les ressources en interne pour conduire de tels programmes dans ces délais. Concernant les disques, la question n’était pas seulement de trouver des financements, mais également des prestataires ayant l’expertise et la capacité technique nécessaires."
2. Grandes acquisitions patrimoniales
Bruno Racine restera comme le président qui a fait entrer à la BNF le manuscrit des Mémoires de Casanova - un événement au retentissement mondial -, le manuscrit de la vie de sainte Catherine d’Alexandrie, le livre d’heures de Jeanne de France, mais aussi de grands corpus d’auteurs contemporains tels Guy Debord, Michel Foucault ou, plus inattendus, Willem et Wolinski. Pour assurer cette politique ambitieuse, il fait appel au mécénat avec une ampleur jusque-là inédite, créant une Délégation au mécénat dès son arrivée. En 2009, il empêche le départ des archives de Guy Debord vers les Etats-Unis, où l’université Yale s’était portée acquéreuse, en obtenant leur classement comme "trésor national", ce qui lui laisse le temps de réunir les fonds nécessaires à leur acquisition. Parallèlement, il ouvre les portes aux artistes contemporains, invitant en 2008 Sophie Calle à exposer salle Labrouste, sur le site de Richelieu, et tant d’autres par la suite, jusqu’à Miquel Barceló qui expose ces jours-ci sur le site François-Mitterrand.
3. Une BNF plus internationale
Pendant neuf ans, Bruno Racine a joué les ambassadeurs, multipliant les voyages à l’étranger pour rencontrer ses homologues. Il a mis en place de nombreux partenariats comme celui signé avec la Chine, qui va envoyer des spécialistes cataloguer les fonds anciens chinois. La BNF s’investit aussi dans la coopération internationale en apportant son aide pour la sauvegarde des manuscrits et du patrimoine écrit au Mali et en Irak. Une collaboration durable est établie avec la bibliothèque d’Alexandrie, en Egypte, destinataire de collections données par la BNF et désormais par des éditeurs français.
4. Le chantier Richelieu
A son arrivée à la présidence de la BNF en 2007, Bruno Racine hérite d’un vaste et complexe chantier : la restructuration du site historique de la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu. Dans un contexte économique déjà contraint, il parvient à obtenir du gouvernement une rallonge budgétaire. Comment ? "En faisant en sorte que la BNF apporte elle aussi des financements, explique le président en souriant. Ils ont été dégagés en levant l’emprise foncière sur une partie des bâtiments, ainsi que grâce à l'indemnité obtenue du cabinet de Dominique Perrault pour une malfaçon des volets de la BNF." Lors de son ouverture à la fin de l’année, le site proposera l’une des plus belles collections d’histoire de l’art au monde dans un environnement entièrement remodelé. Mais le chantier n’aura pas été un long fleuve tranquille. Le projet de l’architecte Bruno Gaudin, qui prévoit la destruction de l’escalier d’honneur datant de 1906 et inscrit à l’inventaire des Monuments historiques, est très impopulaire. Le président, convaincu que c’est la meilleure option, le soutient néanmoins envers et contre tous.
5. Elargissement des publics
Comme l’ensemble des bibliothèques, la BNF est confrontée à une baisse de fréquentation. Une tendance que le président s’est employé à contrer en introduisant des ingrédients de l’esprit "troisième lieu" : création d’un grand café, installations de stations de travail et du Wi-Fi dans les couloirs de la bibliothèque. Aujourd’hui, l’érosion de la fréquentation est enrayée, mais ce succès reste à consolider. "Cela restera un grand défi pour les années à venir, estime Bruno Racine. La BNF devra continuer à développer des services sur place et à distance de qualité, pour les chercheurs comme pour le grand public." Les syndicats, quant à eux, déplorent que la gratuité, soutenue par le président à son arrivée, n’ait finalement pas été mise en place.
6. Préservation de la paix sociale
Malgré les oppositions de fond sur sa politique, notamment ce qu’ils qualifient de "dérive libérale", et alors que les budgets et les effectifs ont été révisés à la baisse, les représentants syndicaux saluent aujourd’hui quasi unanimement un président qui, souligne Jean-François Besançon, délégué du syndicat FSU, s’est "considérablement impliqué dans ses missions, excellent artisan du dialogue social, toujours ouvert au débat".