24 octobre > Histoire Italie > Aldo Schiavone

Dans les années 1950, une publicité pour une savonnette avait pour slogan "Je m’en lave les mains". Devinez la marque ? Ponce Pilate bien sûr ! C’est dire la postérité d’un homme connu pour ce geste dédaigneux. Il faut souligner qu’il est rapporté dans les Evangiles. Mais qui était vraiment ce préfet de Judée qui dégageait sa responsabilité par une attitude certes hygiéniste avant l’heure, mais traduisant un sens de la responsabilité assez limité ? Sur lui, peu de documents. Les passages du Nouveau Testament, une mention chez Flavius Josèphe, une autre chez Tacite, quelques lignes chez Philon d’Alexandrie, une épigraphe et c’est à peu près tout. Il fallait donc un historien de renommée internationale comme Aldo Schiavone pour se lancer dans un tel défi, et qui plus est un des meilleurs spécialistes du droit romain, auteur d’un excellent A la recherche de Spartacus (Belin, 2014), autre personnage sur lequel les textes sont également peu nombreux.

Dans ce remarquable Ponce Pilate, il épuise et commente un corpus étique dans lequel il tente de séparer le religieux de l’historique. Mais surtout il explore le face-à-face inouï entre deux hommes. Le premier prend immédiatement conscience de son infériorité face à la puissance invisible du second. Il incarne l’autorité de Rome et il en représente aussi la faiblesse. Dans cette confrontation - Schiavone récuse le terme "procès" -, Pilate va être amené à jouer un rôle au-dessus de ses moyens.

Si ce sont bien des Juifs qui ont livré Jésus aux Romains, il est peu probable que les faits se soient déroulés tels que les Evangiles les rapportent. Schiavone souligne que seule l’autorité romaine pouvait infliger la crucifixion. Dans le prétoire, Pilate saisit l’hostilité des Juifs à l’égard de celui qui se prétend roi. La flagellation ne suffit pas à éteindre leur soif de vengeance. Pilate reprend donc son interrogatoire avec Jésus. C’est le Nazaréen qui tient les rênes d’un dialogue quasi platonicien. Convaincu de l’innocence de Jésus, Pilate ne sait plus quoi faire. Par une sorte de pacte tacite avec son prisonnier, il décide d’aller au bout. C’est bien lui, sciemment, qui donne Jésus aux soldats.

Les bons livres d’histoire sont des rencontres heureuses entre un sujet et un auteur. C’est bien le cas ici. On apprécie la clarté du propos et l’intelligence de la démarche qui nous plonge dans cette province fascinante où les prédicateurs et les prophètes foisonnent tandis que la société juive se divise. Aldo Schiavone a souvent écrit des chroniques pour le journal La Repubblica. Auteur de L’histoire brisée (Belin, 2003) dans lequel il évoque la chute de l’Empire romain et de Histoire et destin (Belin, 2009) où il fait l’expérience du rapport entre passé et futur, cet ancien directeur de l’Institut italien de sciences humaines sait transmettre son savoir avec ferveur. Pour lui, Ponce Pilate ne s’est jamais lavé les mains. D’ailleurs, s’il n’avait pas laissé Jésus accomplir son destin, il n’y aurait pas eu de christianisme. Laurent Lemire

14.10 2016

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