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La Commission européenne a publié l’ensemble de ses propositions sur le droit d’auteur en Europe. Parmi celles-ci, on relève une amélioration de l’accès transfrontière aux contenus en ligne, une révision des règles en matière de droit d’auteur dans les domaines de la recherche, de l’éducation et de l’inclusion des personnes handicapées, et un marché plus équitable et durable pour les créateurs et la presse.

Concernant le premier point, sur Internet, il n'est pas possible d'accéder depuis un pays de l'UE aux chaînes d'un autre pays européen car les droits d'auteur ne sont cédés que sur des bases nationales. La même règle s’applique pour les plateformes de vidéo à la demande. L’objectif de la Commission est de permettre aux Européens d'accéder à des contenus culturels en ligne sans avoir à se soucier des frontières, notamment pour la télévision de rattrapage.

Etat du marché

En effet, les chaînes de télévision jouent de plus en plus le jeu de ce mode de consommation télévisuelle. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Côté offre, il faut savoir qu’en France, pour le seul mois de juin 2016, les chaînes nationales gratuites proposaient 20 722 heures de programmes sur internet, soit une hausse de 15,3 % en un an. 20,6 % de cette offre est disponible entre 0 et 7 jours, et 72,3 % plus de 30 jours. Côté consommation, selon le CNC, 73,4 % des internautes âgés de 15 ans et plus regardaient des programmes en télévision de rattrapage en 2015, contre 72,2 % en 2014. Non seulement la proportion des Français qui regardent la télévision en dehors de la grille s’accroit, mais leur usage de ces services s’intensifie : 47,5 % des utilisateurs regardent des programmes en télévision de rattrapage au moins une fois par semaine, contre 46,1 % en 2014 (CNC, L’économie de la télévision de rattrapage en 2015, mars 2016). On ignore quelle proportion d’entre eux traverse les frontières et souhaite conserver la possibilité de regarder ses programmes préférés en passant d’un Etat membre de l’Union européenne à un autre, ni quelle proportion souhaite accéder aux programmes proposés par les diffuseurs d’un autre Etat membre, même si des sondages attestent d’un intérêt pour le visionnage hors des frontières du pays d’origine : selon l’Eurobarometer survey conduit en 2015, 8% des utilisateurs d’Internet ont essayé d’accéder à un service en ligne dans un autre Etat membre, et 50% ont indiqué qu’ils aimeraient bien disposer de cette possibilité?.

Principe de territorialité

Les diffuseurs (chaînes et opérateurs de télécommunications) doivent négocier les droits de diffusion pays par pays, en vertu du principe de territorialité des droits d'auteur. La Commission propose de substituer à la territorialité un principe « du pays d'origine », pour les contenus mis en ligne, permettant au diffuseur qui acquiert les droits de diffusion pour un territoire de diffuser ce programme à l’extérieur de ce territoire. Le radiodiffuseur s'acquitterait dans son pays d'origine des droits permettant de rendre accessible le programme dans les autres Etats membres, sauf refus explicite de la part des ayants droit ; le projet envisage la possibilité d’une nouvelle négociation en cas de fort succès d'audience à l'étranger. La négociation des droits passerait par des sociétés de gestion collective.

En soi, et même si d’aucuns ont ironisé sur une préoccupation dictée par des fonctionnaires et des élus européens avides de visionner leurs programmes dans les pays où ils voyagent, l’idée est bonne : pourquoi, à l’heure de la revitalisation de l’Europe (du moins peut-on l’espérer) conserver des frontières artificielles pour les usages numériques ? La mesure, destinée à répondre à une demande des consommateurs et à améliorer l’accès aux œuvres audiovisuelles, permettrait de réduire les coûts de transaction liés à la négociation des droits pays par pays. Tel est l’argument central avancé dans l’étude d’impact commandée par la Commission européenne (eu-com-copyright-draft.pdf, p. 20 et suivantes).

Effet boomerang

Mais la mesure pourrait se retourner contre ceux qui la réclament. Elle pourrait donner lieu, malgré la baisse de ces coûts, à une hausse des droits, qui, devenus transfrontières, intégreraient la possibilité de toucher une audience très large. Certes, des droits plus élevés pourraient profiter aux producteurs et aux créateurs. Mais, in fine, se produirait une hausse des coûts de diffusion et un accroissement des tarifs des abonnements (lorsque le consommateur en acquitte). Du côté des plateformes de vidéo à la demande, on peut craindre de surcroit un renforcement du risque de préemption des droits par les acteurs puissants, tel Netflix ou Amazon.

On retrouve sur ce sujet la tension bien connue entre intérêt (au moins à court terme) des usagers et modèles économiques des industries culturelles.

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