« L’être humain face à la mort », « Anthropologie de la mort », « La mort ou l’absurdité de la vie », « La maladie, une autre allure de la vie ». Tels étaient les cours aussi vivants que passionnants dispensés à l’Université Claude Bernard de Lyon. Ils ont fait l’objet d’une procédure de saisie-contrefaçon au cours de laquelle avaient été appréhendés des polycopiés d’une quarantaine de cours entre séance inaugurale, cours magistraux et préparation aux concours qui étaient commercialisés à destination des étudiants par une personne soucieuse d’une vie heureuse enrichissante à travers une société commerciale. La question qui était posée était de savoir si un cours était une œuvre originale.
Pour la société commerciale, l’affaire était entendue, tout comme son estime pour les cours d’université : les cours dispensés s’appuyaient majoritairement sur des écrits préexistants en se contentant d’ajouter des interrogations basées sur des conceptions largement connues du public.
Heureusement, le Tribunal judiciaire de Lyon en a décidé autrement. Rappelant que conformément à l’article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle, une œuvre de l’esprit est réputée créée du seul fait de la réalisation de la conception de l’auteur et que la notion d’œuvre de l’esprit suppose que l’œuvre reflète la personnalité de son auteur, notamment sa pensée et sa sensibilité.
L’enseignant a injecté au sein de son cours des éléments éminemment personnels
Ainsi, sur le premier cours qui invitait à l’évasion heureuse : « L’être humain face à la mort », le tribunal a retenu l’originalité du cours en prenant en compte que l’auteur du cours disait vouloir faire ressortir l’incidence de l’efficacité médicale sur la relation avec la mort en transposant les travaux d’Edgar Morin sur la question religieuse. Le Tribunal a considéré que le cours était une réflexion sur la place de la mort dans la société et le rôle du médecin et qu’il avait produit un cours au sein duquel les éléments théoriques développés entraient en résonance avec des considérations précises tirées de son expérience technique et humaine, qui étaient nécessairement inédites.
En choisissant de mettre en avant certains éléments de son vécu, l’enseignant a ainsi injecté au sein de son cours des éléments éminemment personnels, qui ne sont en rien attendus. De plus, l’articulation entre des éléments théoriques développés par différents auteurs et des éléments personnels impliquait des choix qui lui étaient propres. Enfin, le tribunal a considéré que les éléments théoriques développés étaient illustrés par une sélection de références littéraires et artistiques, qui étaient le reflet des choix de l’auteur et qui excluaient donc de considérer que le cours développé soit réductible à une compilation d’idées.
Le deuxième cours invitait également à la fête et à la réflexion : « Anthropologie de la mort ». Encore une fois, le tribunal a considéré que l’auteur indiquait avoir intégré des éléments d’interrogation personnelle issus de sa rencontre avec des soignants ; l’enseignante citant dans son cours des exemples et des auteurs, mais également des situations médicales particulières comme celles des patients cancéreux ou de la transplantation d’organes. Le Tribunal a considéré que l’enseignante se situait au plus près de la réalité du terrain telle qu’elle la percevait, soulignant sa volonté intime de préparer la réflexion et l’accueil des soignants.
Autre thème aussi porteur que prometteur : « La maladie, une autre allure de la vie ». L’originalité était également retenue par le Tribunal en considérant que dans son cours, le professeur indiquait avoir repris le concept canguilhemien fondé sur la subjectivité, la vulnérabilité et l’adaptabilité du patient au travers du choix de passages parmi les écrits de ce dernier, qu’il s’efforçait de mettre en valeur en livrant son propre travail d’explicitation. Le Tribunal estimait que si ce cours mettait particulièrement en avant un concept façonné par Canguilhem et renvoyait ainsi à son œuvre par le recours à de multiples citations ; les passages descriptifs se superposaient à des passages dans lesquels le professeur explicitait et critiquait la pensée de l’auteur dans un style indirect qui laissait une large place à ses appréciations subjectives dans une forme qui lui était propre. C’est pourquoi, le tribunal a considéré que, pour proche que soit le cours de la pensée de l’auteur auquel il s’intéressait, les commentaires de l’œuvre engageaient l’enseignant dans un schéma de compréhension personnelle qui donnait une originalité au cours.
L’effort de synthétisation et de vulgarisation conférait au cours un caractère d’originalité
Enfin, le meilleur pour la fin, le cours « La mort ou l’absurdité de la vie ». Le professeur en question expliquait avoir délivré un cours sur les différentes conceptions de la mort dans les civilisations occidentales successives pour guider la réflexion éthique contemporaine autour de la médicalisation de la mort. Pour ce cours, le Tribunal a considéré que s’il était habituel qu’un enseignement universitaire propose une présentation de positions différenciées faisant autorité sur un sujet donné, la pluralité des apports philosophiques, scientifiques, religieux sur une question centrale comme la mort imposait à l’enseignant des choix d’auteurs et de formulations synthétiques de leurs idées. En utilisant souvent un style direct très éloigné de celui des auteurs qu’il présentait et grâce à l’effort de synthétisation et de vulgarisation dont il avait fait preuve, ce travail conférait au cours un caractère d’originalité.
La société commerciale arguait de deux autres moyens pour se défendre. Le premier était argument faisait valoir la circonstance que leur médiation revenait à permettre aux étudiants d’accéder pour leur compte à la copie de cours oraux qui leur étaient déjà ouverts, exception prévue par l’article L 122-5 2°) du code de la propriété intellectuelle à l’interdiction de reproduction. Mais dès lors que le copiste n’était pas les usagers directs des copies mais les destinait à des clients, cet argument était inopérant.
Autre argument, celui de la théorie des facilités ou infrastructures essentielles. Le tribunal a rejeté encore l’argument au motif que si cette théorie permet de neutraliser certains effets classiquement attachés au droit exclusif, son application est conditionnée à l’existence d’un comportement abusif de la part du titulaire du droit de propriété intellectuelle, en ce sens que son refus de communiquer certains éléments n’est aucunement justifié de manière objective et qu’il aboutit à exclure toute concurrence sur un marché dérivé.
Or, en l’espèce, le défendeur n’avait jamais sollicité les professeurs pour obtenir la communication d’éléments, mais a fait le choix de s’abstenir de toute autorisation des titulaires. Par ailleurs, si la société commerciale souhaitait commercialiser des cours sur les mêmes sujets, qui sont l’objet d’un programme d’enseignement officiel, rien de l’empêchait de les concevoir ou de payer un auteur pour le faire afin de diffuser des œuvres dans des conditions respectueuses des droits de propriété intellectuelle.
Enfin, le tribunal a considéré que le simple fait de diffuser la reproduction écrite d’un cours universitaire dont l’auteur n’avait pas mis en place lui-même un support écrit constituait une modification non autorisée de l’œuvre elle-même donnant droit à réparation. En effet, cette œuvre revêtait en effet le caractère instantané et direct d’une parole adressée à un public physiquement présent et se trouve dénaturée par une mise par écrit de son style oral, moins rigoureux sur le respect des règles de la langue française, non comptable des fautes d’orthographes et non redevable des transcriptions infidèles ou incomplètes. Ce manque de respect de l’œuvre constitue une atteinte au droit moral de l’auteur.
Bref, les cours sur la mort ont encore de beaux jours devant eux et ce n’est pas Edgard Morin qui dira le contraire en la faisant patienter, pour notre plus grand bonheur intellectuel, depuis si longtemps.