10 octobre > Dictionnaire France

En plein débat sur « l’identité nationale », artificiellement monté et entretenu par une classe politique qui en a fait son fonds de commerce mais qui dénote tout de même, dans notre pays, un malaise sociétal profond et déjà ancien, ce volumineux ouvrage est un pavé dans la mare. Dirigé par l’historien Pascal Ory, assisté de Marie-Claude Blanc-Chaléard, universitaire elle aussi, spécialiste de l’histoire de l’immigration, et rédigé par un bataillon de collaborateurs, historiens pour la plupart, ce Dictionnaire, qui souhaite « rétablir certaines vérités », ne va pas manquer de faire débat à son tour, voire de susciter quelques polémiques. Rien que son titre, « des étrangers qui ont fait la France » et non « contribué à faire », devrait hérisser quelques poils du côté des bleus de la Marine.

Dans sa préface, Pascal Ory salue avec malice Gao Xingjian, prix Nobel français de littérature en 2000 : né à Ganzhou en 1940, le poète chinois avait été naturalisé en 1997. Il rappelle que, contrairement à presque tous les autres en Europe, notre pays n’a jamais été une terre d’émigration, mais une terre d’immigration, un asile pour toutes les diasporas, principalement politiques et artistiques. Mais, contrairement au melting-pot américain, qui a montré son hypocrisie, ou au multiculturalisme britannique, le modèle français, surtout depuis la Révolution, s’est voulu intégrationniste. Tout étranger s’installant en France se devait d’apprendre et de maîtriser le français, de respecter les valeurs de la République (avec au premier chef la laïcité), de se fondre dans le creuset national, quitte à gommer sa culture d’origine. Le système a fonctionné jusque dans les années 1960-1970, mais l’afflux d’anciens « colonisés » et leur ghettoïsation, la crise économique, la montée en puissance de l’islam, la situation internationale de plus en plus incontrôlable l’ont fait voler en éclats. Où sont, dans nos banlieues, les Chopin, Marie Curie, Zola, Picasso, Gainsbourg, Aznavour ou Beckett d’aujourd’hui ?

A ceux-là et à bien d’autres, le Dictionnaire consacre l’une de ses entrées, 1 200 environ. On aura plaisir à le parcourir en famille, où il pourra nourrir nombre de quiz : de quel pays sont originaires Guillaume Apollinaire (ça, c’est un piège), Pierre Cardin ou Mike Brant ? Mais on lira aussi avec profit certains articles thématiques, par exemple celui consacré aux étrangers compagnons de la Libération, 53 plus 15 « coloniaux », sur les 1 038 membres de l’ordre institué par le général de Gaulle dès novembre 1940. Ou encore celui sur les diasporas indiennes, Tamouls et Pendjabis en tête.

En rafraîchissant nos mémoires, et en formant celle des plus jeunes, ce Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France est une œuvre en tous points salutaire : on peut être patriote sans être nationaliste ni xénophobe. Le racisme est toujours le produit de l’inculture, de l’obscurantisme et de la peur. J.-C. P.

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