Aujourd’hui ce n’est plus lui qu’on reconnaît, c’est son fils. L’a-t-on jamais reconnu pour son talent à ses débuts? En tout cas, Antoine, son fils, a été salué comme un petit prodige de la scène rock "indé" avec son groupe, les Extradés, qu’il forme avec Kamel à la basse et Ethan à la batterie: "Un apostat, un juif et un gay réunis autour d’un projet inspiré, comme tout ce qui touche à la musique et à l’expression du bonheur, par le Sheitan." Mathieu Scarifi, le comédien décrépit et héros de Sergent Papa de Marc Citti, se retrouve à boire des coups après le concert dans l’une de ces brasseries qui servent après 2 heures du matin. Relégué en bout de table, il croit reconnaître une femme qui avait été avec lui au Conservatoire en 1989. Oui, c’est bien Marie Bellecour. Dix ans qu’il ne l’a pas vue: "Il l’a toujours bien aimée sans jamais parvenir à la désirer tout à fait." Va- t-il lui adresser la parole? Il se souvient: "Son élégance caractéristique des grandes actrices de théâtre et la bienveillance mâtinée d’ironie avec laquelle elle contemplait alors le monde, comme si elle le surplombait, ne faisaient qu’accroître la timidité et l’aquoibonisme de Mathieu." Elle est là pour le batteur, Ethan, de vingt ans son cadet, son secret amant. Le cœur de Mathieu bat à tout rompre. Ce n’est pas l’émotion, juste la coke que lui a proposée l’ingénieur du son et qu’il a sniffée tout à l’heure dans les toilettes du Casino de Paris. Qu’avait-il eu besoin de faire ça? Tout lui, les mauvais choix: abandonner ses ambitions d’acteur et son fils en bas âge, s’abandonner aux vertiges de l’alcool et de la drogue…
Dans ce premier roman - sur la relation père-fils - fort bien senti, Marc Citti entrelace les trajectoires d’un comédien sur la touche et de son étoile montante de rejeton. L’auteur, qui a notamment travaillé avec Patrice Chéreau (il a publié un récit, Les enfants de Chéreau, chez Actes Sud en 2015), signe une belle réflexion sur la lente maturation d’un homme et les paradoxes de la transmission. Appartenant à la génération des jeunes rebelles, Mathieu a sans doute eu du mal à être autre chose que sa propre fin (finalité, but) et s’était condamné à n’être que sa propre fin (mort symbolique et réelle). En redécouvrant son affection pour cet enfant emporté par les feux du succès et aspiré dans les affres de l’amour, il trouve la voie d’une possible rédemption et, en remontant sur les planches, le salut. S. J. R.