Voleuses, fugueuses, prostituées, filles-mères, hystériques, anorexiques, chefs de bande, déviantes, marginales, subversives, indociles de tout poil, voilà les Mauvaises filles, ces jeunes anonymes des classes populaires soumises à une double domination, masculine et sociale, que les historiens spécialistes de la jeunesse Véronique Blanchard et David Niget ont décidé de tirer de "la nuit de l’histoire" pour leur offrir un récit de vie, une image impressionniste.
L’historienne Michelle Perrot préface cet album de portraits qui trame archives et reconstitution fictionnée selon un découpage en trois époques : "Le temps des filles perdues" (1840-1918), celui des "filles modernes" (1918-1965) et celui des "filles rebelles" (1965-2000) "qui transgressent les normes tout en défendant leur droit" après la "rupture anthropologique majeure que constitue le contrôle de la fécondité dès les années 60". Mais les documents présentés ici (photographies, articles de presse, extraits de décisions judiciaires, dessins), qui émanent pour la plupart d’instances de contrôle et de discipline - "école de préservation", couvent, famille, hôpital psychiatrique, maisons de correction et autres foyers de redressement -, révèlent aussi de "puissants invariants". "Le corps féminin reste au cœur de la problématique de la déviance, corps scruté, corps convoité, corps objet de normalisation." Et la rébellion féminine, menace pour l’ordre moral et social, demeure ces 150 dernières années plus souvent attribuée à un comportement pathologique qu’à une forme de revendication d’autonomie. Pourtant, cet album rend visible et vivant tout ce que le combat pour l’émancipation féminine doit à la subversion ordinaire, obscure, des Mauvaises filles. V. R.