Entre janvier et septembre 2011, le chiffre d'affaires de la librairie allemande a chuté de 4,9 % par rapport à la même période de 2010, selon l'hebdomadaire Buchreport. De son côté, l'activité de l'édition stagne entre 0,3 % et 0,5 % d'augmentation annuelle (9,734 milliards d'euros en 2010). Alors que les aléas de la construction européenne pointent régulièrement la bonne tenue de l'économie allemande, la situation est plus contrastée sur place. C'est notamment le cas du secteur de la librairie, qui s'interroge sur son devenir.
Chiffres éloquents
Pour Heinrich Riethmüller de la librairie Osiander, président du groupe des libraires au Börsenverein, les chiffres sont éloquents : "Il y a une dizaine d'années, la librairie représentait en Allemagne environ 58 % du chiffre d'affaires de l'édition, elle est descendue à 50 %. » Au Börsenverein, l'organisme qui rassemble l'intégralité des professionnels du livre, le nombre d'adhérents du groupe librairie est passé de 3 814 en 2009 à 3 684 en 2010 : "Le chiffre est à modérer en fonction du type d'adhésion, mais la tendance est là", souligne Matthias Ulmer, coresponsable des éditeurs au Börsenverein. La littérature, les documents et essais et les livres pour la jeunesse sont à peu près les seuls secteurs qui tirent encore leur épingle du jeu en librairie.
Les sites de commerce en ligne, Amazon en tête, mais aussi l'allemand Weltbild, sont les concurrents les plus menaçants pour la librairie. "Nous avons des librairies qui proposent de très bons sites de vente en ligne, mais les clients qui choisissent ce mode d'achat - 40 % des acheteurs de livres achètent aussi en ligne - vont presque systématiquement vers les grands sites, déplore Heinrich Riethmüller. Dans notre enseigne, les ventes en ligne ne représentent pas plus de 5 % du chiffre d'affaires, ce qui n'est pas satisfaisant."
"Depuis une dizaine d'années, mes collègues n'ont pas su anticiper la mutation de la librairie et ont encore des magasins qui ressemblent à ceux du siècle dernier, dit de son côté Franziska Bickel, de la librairie Vogel Buchhandlung. Et la situation risque de s'aggraver. Mais je reste convaincue qu'il y a une place pour des librairies traditionnelles." Une des préconisations du "Forum pour le futur" organisé par le Börsenverein en octobre à Francfort était d'élargir l'offre du magasin à des produits autres que les livres pour récupérer du chiffre d'affaires. "Oui, mais dans ces secteurs, les pratiques commerciales ne sont pas les mêmes que dans le livre", regrette Franziska Bickel.
De son côté, Matthias Ulmer, lui-même éditeur (Ulmer Verlag), reste confiant : "La situation des petites et moyennes librairies indépendantes n'est pas aussi mauvaise que celle des grandes surfaces, et elles peuvent progresser si elles s'appuient sur tous les médias, y compris les médias sociaux, pour organiser leur clientèle et devenir un point de rencontre. En tant qu'éditeur, j'aime rencontrer des libraires qui croient en l'avenir de leur métier. Nous avons trop de libraires qui pleurent et ne font rien."
Le coût des loyers dans le centre-ville est l'un des éléments qui pèsent sur les chaînes de grandes surfaces commerciales. C'est notamment le cas des enseignes Thalia et Weltbild/Hugendubel, leaders du marché, qui procèdent à quelques fermetures de magasins après des années d'expansion marquées par des implantations nouvelles et des agrandissements. Elles élaborent des stratégies qui s'appuient sur les nouveaux supports, en envisageant notamment de réduire la place réservée au livre physique.
Innovations coûteuses
A l'heure actuelle, tout est un pari sur l'avenir : le secteur ne peut pas encore compter sur l'économie du ebook, qui affiche des progressions spectaculaires, entre 200 et 300 %, mais ne représente encore que 0,7 % du chiffre d'affaires de l'édition. Heinrich Riethmüller estime cependant à 20 % la part qu'il représentera d'ici à une dizaine d'années : "Ce marché est principalement occupé par les grands acteurs internationaux. La concurrence sera de plus en plus rude parce que nous avons affaire à des innovations coûteuses. Dans cette compétition, il sera difficile pour les librairies d'exister. »
Matthias Ulmer, de son côté, tempère : "Certes, nous avons un recul du nombre de points de vente du livre, mais, à mon sens, il s'agit essentiellement d'une évolution structurelle relativement normale, non d'une situation dramatique telle que les connaissent le marché anglais et le marché américain."