Edition

La machine à détruire, d’Aline Fares et Jérémy Van Houtte (Seuil) : leur ennemi, c’est la finance !

Aline Fares et Jérémy Van Houtte, auteurs de La machine à détruire (Seuil) - Photo Jérôme Panconi

La machine à détruire, d’Aline Fares et Jérémy Van Houtte (Seuil) : leur ennemi, c’est la finance !

Repentie de la finance reconvertie dans l’anticapitalisme financier, Aline Fares signe au Seuil le roman graphique La machine à détruire, illustré par Jérémy Van Houtte.

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 25.06.2024 à 11h12

Tout commence bien dans La machine à détruire, roman graphique autofictionnel d’Aline Fares, illustré par Jérémy Van Houtte, paru le 14 juin au Seuil. L’ouvrage s’ouvre par une soirée jet set dans un palace monégasque pour l’inauguration de la nouvelle filiale de la banque Dexia. L’héroïne de la BD, prénommée Aline Fares comme l’autrice – c’est une autofiction vous a-t-on dit –, avait participé aux travaux préparatoires. Le personnage de la jeune banquière française croquée sous le trait joyeux du belge Jérémy Van Houtte, fait bonne figure et sauve les apparences de la banque franco-belge. Au bord de la faillite, Dexia en réchappe in extremis la semaine d’avant grâce aux États français, belge et luxembourgeois qui y injectèrent 6 milliards d’euros d’argent public. « Pour l’instant nous pouvons faire la fête, lâche-t-elle au cours du dîner, mais ce ne sera pas le cas demain. »

Si, en fait, car les crises financières se suivent et se ressemblent… Et le système continue de fonctionner à plein. Pas possible ! s’indigne Aline Fares qui jette alors l’éponge. Monaco fut son chemin de Damas : elle aura réalisé qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la finance.

Bâton de pèlerin anticapitaliste

Voilà que la Française au parcours classique d’une première de la classe – HEC, premier job au Luxembourg « qui [lui] a permis de rembourser [s]on prêt étudiant et de bien [s]’amuser aussi » – se saisit de son bâton de pèlerin anticapitaliste. Vivant en Belgique, la désormais ex-banquière s’investit dans des « Conférences gesticulées », ces prises de parole citoyennes sur une problématique sociétale qui ont lieu dans des lieux associatifs, des festivals militants ou des scènes culturels.

La machine à détruire couverture

Aline Fares expose les mécanismes délétères du système bancaire. Et de labourer le terrain, expliquant « pourquoi il faut en finir avec la finance. » Alors qu’elle enquille les rencontres avec le public, des amis lui suggèrent d’en faire quelque chose de plus pérenne, comme un roman graphique, par exemple ? L’idée plaît à la fan de BD. Encore qu’il faille trouver quelqu’un pour le dessin. Sororité oblige, elle envisage spontanément de s’associer à une dessinatrice mais ne connaît personne dans le milieu.

Conférence gesticulée

C’est alors qu’elle pense à Jérémy Van Houtte, rencontré en 2017 lors de leur formation pour la conférence gesticulée. Ce berger et fabricant de fromage de brebis fâché avec le système éducatif est également illustrateur pour des publications écologiques. Il accepte la proposition d’Aline. Cancre à l’école, avec cet esprit d’indépendance chevillé au corps, instillé par son père libraire et sa mère dans le dessin publicitaire et également dans la restauration d’art, ce diplômé de La Cambre (la prestigieuse École nationale des arts visuels belge) est peu en phase avec la « boîte de pub où il fallait faire du graphisme pour McDonald’s ». Il quitte très rapidement ce premier emploi et part en année sabbatique en Nouvelle-Zélande où il apprend l’agriculture bio…

Si l’itinéraire de Jérémy fut aux antipodes de celui d’Aline, la paire se retrouve avec enthousiasme sur le projet de ce qui deviendra La machine à détruire – « La finance pour les nuls » en bande dessinée mais pour apprendre à s’en déprendre et à la combattre… Et à travers un scénario autofictif inspiré de l’expérience d’Aline Fares, ex de chez Dexia. « Il a fallu qu’Aline me réexplique plusieurs fois certains concepts, » se souvient Jérémy Van Houtte, plus expert de Franklin ou de Van Hamme qu’ès subprimes. »

Des pommes et des poires

L’intéressée renchérit, hilare : « J’étais encore trop technique alors je me suis mise à remplacer les produits financiers par des pommes et des poires. » Résultat c’est clair et clairement terrifiant sous des airs rigolos. La fée Crédit au faciès jovial ressemblant à un ancien président français prétendument ennemi de la finance est emblématique d’un système qui mène tout droit à la destruction des ressources humaines et non moins à l’extinction des ressources naturelles…

La machine à détruire extrait
Extrait de La machine à détruire, d'Aline Fares et Jérémy Van Houtte (Seuil)

Forts d’un « crowdfunding qui a bien marché, lancé en 2020 pendant le confinement » et des conseils de l’auteur des Vieux Fourneaux Wilfrid Lupano, les deux travaillent d’arrache-pied sur le scénario (« On l’avait écrit trois fois avant même de commencer le storyboard »). Ils envoient leur projet à divers éditeurs BD fin 2021. Essuient des refus quand on daigne leur répondre… Jérémy revit l’espace d’un instant le désarroi éprouvé à la fin de l’été 2022 : « Je voulais dessiner… J’ai dit : “On arrête là, j’en ai ras-le-bol !” » « Il y eut un grand moment de doute », confesse Aline. « Mais il fallait continuer pour tous ceux qui croyaient en nous », poursuit le dessinateur. Et puis bingo ! Le Seuil les contacte à l’automne de la même année. Ils signent.

Thomas Ragon, le Monsieur BD du Seuil nouvellement nommé, supervisera le projet qu’il prend en cours. Il suggère un peu de couleur. Mais le travail de dessin est déjà bien avancé. On opte pour la bichromie, noir et camaïeu de beige. « Zéro critiques, à part des broutilles ! Tellement pas que j’ai cru qu’il n’avait pas lu la BD, » s’étonne encore Jérémy Van Houtte. C’était mal connaître le méticuleux éditeur qui pointe des coquilles avant l’imprimatur, en s’exclamant tout sourire : « Vous voyez que je l’ai lue ! »

Les dernières
actualités