1er février > Roman Irak > Sinan Antoon

Jawad Kazim Hassan, le narrateur, est un jeune chiite de Bagdad, qui vivait dans le quartier, alors paisible, d’al-Kazimiyya, avec sa famille. Son père, le très pieux Abou Ammouri, est un homme respecté en raison de son métier, fort mystérieux pour le garçon, qui ne le découvrira qu’à son adolescence lorsqu’il lui donnera un coup de main : Ammouri est laveur rituel de cadavres. Suivant strictement les rites de l’islam, il lave le corps trois fois, avec du jujubier, du camphre, puis de l’eau claire, avant de l’emmailloter, de le placer dans un cercueil, et de le rendre à sa famille pour les funérailles. Jawad, lui, ne veut pas reprendre l’entreprise familiale, et c’est une source de conflit avec son père. Il rêve d’être sculpteur et, au terme de ses études à l’académie des Beaux-Arts, préfère faire des petits boulots que laver des cadavres.

Son frère aîné Amir, médecin, a été tué en 1988, à al-Faw, dans la longue guerre entre l’Irak et l’Iran. Lui a fait son service dans le sud, loin de Bagdad, sans problème. A l’université, il a rencontré Rim, une jeune veuve d’un officier mort à la guerre, lui aussi. D’une famille aisée, elle étudie le théâtre. Jawad en tombe follement amoureux, et c’est réciproque. Mais un jour, elle disparaît. Il apprendra qu’elle est partie pour la Jordanie se faire soigner d’un cancer du sein. Il ne se remettra jamais de ce drame.

En 2003, alors que la deuxième guerre du Golfe, inique, vient d’éclater, son père meurt, en pleine prière, d’une crise cardiaque pendant un bombardement américain. Bagdad est prise. Les massacres et les pillages se succèdent, notamment des musées. Jawad, dont les nuits sont hantées de cauchemars, va voir sa vie lui échapper. Après qu’Hammoudi, le second de son père, qui lui avait succédé, a disparu à son tour, que Jawad a refusé d’épouser la belle Ghayda’, partie pour la Suède, il se résout à rouvrir la salle de lavage, à reprendre le sacerdoce paternel. Il le fait consciencieusement, même s’il n’a pas la foi et si le monde qu’il a connu est en train de s’effondrer, sous les assauts du confessionnalisme : barbarie, attentats suicides, décapitations. Un jour, il devra même laver une tête sans corps. Refoulé de Jordanie, il va rester pour toujours à Bagdad, regardant le grenadier de la cour de l’atelier prospérer, arrosé par les eaux résiduelles des lavages innombrables…

Sinan Antoon, né à Bagdad en 1967 et vivant aux Etats-Unis, signe, avec ce roman paru en arabe en 2010, un grand livre, beau et terrible, sur les souffrances du peuple irakien, injustifiables. Comme la plupart des leurs, les Hassan détestaient le régime de Saddam Hussein. Mais ce qui l’a remplacé est encore bien pire. J.-C. P.

27.01 2017

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