Droits étrangers

La nouvelle vague espagnole

La nouvelle vague espagnole

Touché de plein fouet par la crise, le secteur du livre espagnol mise plus que jamais sur l’Amérique latine où les exportations explosent. Une aubaine pour les éditeurs de littérature étrangère, dont le marché s’élargit.

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Par Mylène Moulin
Créé le 18.10.2013 à 15h01 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Ce n’est pas une nouveauté, l’Espagne est en crise. Alors que les ventes de livres ne cessent de chuter depuis trois ans, avec en 2012 une baisse de 10,9% du marché intérieur, les éditeurs cherchent de nouveaux marchés à l’étranger. Au salon Liber, qui s’est déroulé début octobre, les professionnels étaient venus consolider leurs relations avec l’Amérique latine, où les exportations sont en hausse de 12,41 % par rapport à 2011 et où le chiffre d’affaires des filiales des groupes éditoriaux espagnols installés atteignait 2,5 milliards d’euros en 2012 (1).

 

 

Plus d’artisanat

Le marché local ne suffisant pas à leur survie, de nombreux éditeurs - grands comme petits - se tournent vers l’Ouest. Ce dernier attire également les maisons d’édition de littérature étrangère qui achètent les droits mondiaux pour la langue espagnole. Une aubaine pour les traductions du français, deuxième langue la plus traduite en Espagne derrière l’anglais. Car si l’Espagne suit généralement les grandes tendances éditoriales européennes (polar suédois, narration japonaise, textes brésiliens, vague du porno soft), de plus en plus de maisons d’édition espagnoles comme Nørdica, Impedimenta, Rey Lear, Errata naturae ou La Esfera de los libros cherchent à se distinguer en publiant des titres moins médiatisés ou moins attendus par le public.

Ces éditeurs revendiquent une nouvelle façon de publier plus artisanale et ont entamé un travail de revalorisation de textes déjà traduits, tout en abordant de nouveaux auteurs et de nouveaux secteurs avec une exigence linguistique qu’on ne connaissait jusqu’alors que chez quelques figures de l’édition littéraire comme Tusquets ou Anagrama. Rencontre avec quatre d’entre eux.

(1) Selon l’étude sur le commerce extérieur publiée par la Fédération des chambres du livre (Fedecali).

Errata naturae : un petit tour en France tous les trois mois

Rubén Hernández et Irene Antón.- Photo MYLÈNE MOULIN

Tous les trois mois environ, Irene Antón et Rubén Hernández, fondateurs d’Errata naturae, prennent l’avion direction la France pour y faire le tour des librairies parisiennes et dénicher les perles rares à traduire. Créée en 2008, cette petite maison d’édition indépendante s’est imposée sur la scène éditoriale alternative avec ses collections de philosophie, pensée critique, cinéma, théorie de l’art, sciences, sciences politiques, sociologie, urbanisme et littérature. « Notre objectif est d’offrir aux lecteurs des ouvrages qui, à la manière des centaures ou des sphinx, doivent leur existence à la nécessaire hybridation de la pensée et de la création, de l’idée et de l’écriture, de la critique et du plaisir, comme un tout indissociable », explique Rubén Hernández. Sur les 25 titres lancés chaque année, 90 % sont des traductions, tirés entre 2 000 et 5 000 exemplaires. Francophiles, les deux éditeurs de la maison ont notamment publié en Espagne les titres des Petits Platons ainsi que Passer l’hiver d’Olivier Adam, et les ouvrages d’Eric Hazan, Jean Echenoz, Alain Badiou, Raymond Bellour, Sophie Calle ou encore Grégoire Chamayou. Ils réalisent un travail de traduction soigné et visent un lectorat éclairé, voire académique, tout en maintenant une ligne empreinte d’un certain anticonformisme. Un esprit qui se ressent dans le traitement esthétique de leur production, avec des couvertures aux illustrations très BD.

M. M.

Blume à la recherche de thèmes innovants

Leopoldo Blume, le fils du fondateur.- Photo MYLÈNE MOULIN

Fondé en 1965 en plein franquisme, Blume est un éditeur de livres pratiques qui a dans un premier temps publié des ouvrages à caractère politique. Un manifeste contre le régime présenté à Francfort dans les années 1970 vaudra à son fondateur, Siegfried Blume, un séjour en prison. Dirigée depuis 1989 par son fils Leopoldo Blume, cette maison d’édition, à dominante non-fiction, réalise de nombreuses coéditions avec la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Son catalogue, à 90 % composé de traductions, comporte des titres illustrés, d’architecture, de musique, de gastronomie, de photojournalisme et d’histoire, et s’est enrichi d’une branche jeunesse il y a quatorze ans. Sur la centaine de nouveautés publiées chaque année, la production française occupe une place de choix. «Nous sommes ouverts à toutes les propositions, de maisons reconnues comme de projets indépendants, du moment que les thèmes sont traités de manière originale, innovante et anglée», explique Leopoldo Blume, qui cite en exemple l’ouvrage Les Beatles, la totale de Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin, publié en 2013. Très demandeur en jeunesse, Blume poursuit une politique de collections et d’auteurs : il est notamment l’éditeur en Espagne des albums de François Delebecque et d’Alain Serres, des séries «Drôles de petites bêtes» chez Gallimard et de Babar. M. M.

Alianza editorial mise sur les essais et les classiques

Valeria Ciompi, directrice éditoriale.- Photo MYLÈNE MOULIN

Amin Maalouf, Jorge Amado, Tariq Ali, Ismail Kadare, Yukio Mishima : avec un catalogue à 60 % composé de traductions, Alianza editorial est un éditeur majeur de littérature étrangère en Espagne. Propriété du groupe Anaya (Hachette), cette maison généraliste a été fondée en 1966 sous la dictature franquiste, par un groupe d’intellectuels résistants. « La littérature étrangère fait partie de notre ADN. Elle est l’essence même de notre ligne de travail », explique Valeria Ciompi, sa directrice éditoriale, fière d’avoir publié des auteurs francophones tels que Boris Vian, Philippe Besson, Max Gallo, Irène Frain, Dany Laferrière ou Yasmina Khadra (passé depuis chez Planeta). Alianza publie environ 250 titres par an, dont une grande partie dans un format semi-poche reconnu pour ses couvertures colorées signées Daniel Gil et Manuel Estrada, deux pointures du graphisme espagnol. Les traductions sont en général lancées à 2 500 exemplaires minimum. Longtemps très ouverte aux textes littéraires, Alianza, confrontée comme tous les éditeurs espagnols à la crise qui affecte le livre, a cependant réduit sa politique d’achats de droits. « Il est de plus en plus difficile de mettre le lecteur espagnol en contact avec des titres de littérature étrangère si ces derniers ne font pas partie de la liste des auteurs de best-sellers anglo-saxons », explique Valeria Ciompi. L’éditrice a donc décidé de se replier sur la non-fiction et les essais. Elle a toutefois mis en place un projet de retraduction des classiques français : après avoir lancé une nouvelle version du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, elle publiera à la fin de l’année la première traduction intégrale des Misérables de Victor Hugo. M. M.

 

La Esfera de los libros : exploiter des niches

Ymelda Navajo, directrice éditoriale.- Photo MYLÈNE MOULIN

En misant sur Katherine Pancol, La Esfera de los libros a réussi son pari : la trilogie de l’auteure française s’est écoulée à 500 000 exemplaires. Un succès phénoménal qui a permis à cette petite maison d’édition, créée en 2001 et composée d’une équipe de dix personnes en Espagne et de cinq au Portugal, de se positionner sur le marché des droits avec un certain poids, même si les traductions ne représentent que 20 % du catalogue. La Esfera de los libros a publié depuis les ouvrages d’Eliette Abécassis, Nathalie Kuperman, Michel Rostain, Dai Sijie, Jean-Luc Leleu et éditera bientôt Jean-Philippe Blondel. Son credo ? « Etre un véritable laboratoire de la traduction en découvrant de nouvelles valeurs littéraires de qualité mais accessibles au grand public, et exploiter des niches délaissées par les grands groupes », explique Ymelda Navajo, sa directrice éditoriale. Spécialisée en fiction et en roman historique, la maison d’édition publie également du polar, des titres d’enquêtes journalistiques et s’est spécialisée dans les publications sur la Seconde Guerre mondiale. Les traductions, tirées au minimum à 3 000 exemplaires, sont diffusées en Espagne et parfois au Portugal, mais aussi en Amérique latine, via un partenariat de coédition avec la maison El Ateneo basée en Argentine. M. M.

 

18.10 2013

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