Ecrivain mondialement célèbre depuis son premier roman (L'immeuble Yacoubian, paru en 2006 chez Actes Sud), le Cairote Alaa El-Aswany, dentiste de profession, est un homme du peuple égyptien, un citoyen engagé qui partage ses aspirations à la liberté, à la démocratie, au bonheur, qu'il n'a jamais vraiment connu. C'est dire l'enthousiasme qui fut le sien après le déclenchement de la révolution de 2011, symbolisée par les manifestations de la place Tahrir, en plein centre du Caire, mouvement qui a abouti à la démission du dictateur Hosni Moubarak, en dépit de ses puissants appuis internationaux (américains surtout). D'aucuns le croyaient indéboulonnable. Lorsqu'il en avait encore la licence, El-Aswany a largement mis sa plume au service de ses compatriotes, dans la presse égyptienne et étrangère. Il a publié en 2011, chez Actes Sud, un recueil de ses chroniques. Il semble qu'aujourd'hui ce lui soit devenu difficile, en raison du « nouveau » régime qui s'est instauré dans le pays, une dictature de l'armée, menée par son chef tout-puissant, le maréchal Al-Sissi, lequel n'a rien envié à ses prédécesseurs, même à l'éphémère Morsi, le chef des Frères musulmans, qu'il a chassé, destitué, emprisonné.
Tous ces événements, ces illusions lyriques de démocratie vite perdues, puis la répression qui frappe les révolutionnaires, les jeunes surtout, on les vit aux premières loges, aux côtés des gens dans J'ai couru vers le Nil. Comme cet Achraf Wissa, un aristocrate copte, acteur manqué et grand fumeur de haschich, malheureux en ménage, personnage un peu falot au début va se révéler, le moment venu, d'un courage extrême. Il affiche au grand jour son amour passionnel pour Akram, sa servante, et met à la disposition des insurgés une boutique au rez-de-chaussée de l'immeuble qu'il possède (tiens, tiens), tout près de la place Tahrir. Il met aussi largement sa fortune au service de la cause, à ses risques et périls. « Vieux sage » attachant, c'est un peu le porte-parole de l'auteur, son reporter sur place, qui va se trouver au milieu de toutes les intrigues, de tous les destins qui se croisent, se mêlent, se télescopent. Comment Dania, par exemple, fille de l'ignoble général Ahmed Alouani, chef de l'Organisme, une redoutable police parallèle, va tomber amoureuse de Khaled, un étudiant en médecine assassiné de sang-froid par le commandant Haitham, lequel se verra acquitté, et même promu pour le prix de son crime. Mais une autre justice veille. Son châtiment est mérité, mais il sonne le glas des espérances de tout un peuple, trahies, tous les pouvoirs d'avant, ceux qui ne changent jamais, ligués contre lui. « La docilité égyptienne, nous l'avons héritée des pharaons », dit un personnage à un moment. « La révolution nous a tous changés », lui rétorque Mazen, l'ingénieur chimiste militant, qui a tenté de libérer son entreprise du système. En vain. Le constat final du roman est amer, dans l'attente, peut-être, d'une autre révolution.
J’ai couru vers le Nil - Traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier
ACTES SUD
Tirage: 25 600 ex.
Prix: 23 euros ; 432 p.
ISBN: 9782330109042