Mediapart et quelques autres médias sont partis dans une croisade contre la « censure ». Aux grands mots, les grandes affaires ! Revenons donc sur les raisons de la condamnation, en reposant quelques idées juridiques de base. La captation d'images dans un lieu privé est particulièrement sanctionnée. L'article 226-1 du code pénal dispose : « est puni d'un an d'emprisonnement et de trois cent mille francs d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :          1° en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;          2° en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.          lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'il s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. » Il s'agit là essentiellement d'un dispositif légal qui visait originellement à sanctionner les paparazzis et les barbouzes à la gomme tentant de mettre sur écoutes Le Canard enchaîné. Ainsi, le tribunal de grande instance de paris, en 1998, a jugé à propos de photographies représentant Lady Di et Al Fayed, publiées dans Paris-match , que : « dès lors que le couple se trouvait sur le pont d'un bateau, lieu où personne ne pouvait accéder sans l'accord de l'occupant, ce lieu présentait incontestablement un caractère privé, au sens de l'article 226-1 2° du code pénal, et il n'importe à cet égard que le navire se trouvât, au moment de la prise des clichés, non loin d'un port ou d'une plage comme le soutient la défense ou au large des côtes de la Sardaigne, selon la partie civile » . De même, la prise de photographies à travers une fenêtre, telle qu'elle est souvent pratiquée par la presse à sensation, est constitutive du délit prévu à l'article 226-1 du nouveau code pénal. Cela s'applique aussi bien à une personne dans son appartement, que dans une cellule, dans un hôpital, etc. Les éditeurs qui entendraient publier, à la suite de Mediapart et du Point , des enregistrements de Liliane Bettencourt encourent désormais le même sort.          La cour d'appel de Versailles a, le 4 juillet dernier, souligné que «  l'hebdomadaire Le Point a publié dans la rubrique société un article annoncé en page de couverture par le bandeau « Liliane Bettencourt, les révélations du maître d'hôtel » sous le titre « les enregistrements secrets du maître d'hôtel », et le sous-titre « affaire Bettencourt. Les conversations de la milliardaire avec ses proches, captées à leur insu, révèlent une femme sous influence ». Or, «  il ressort de cet article que le maître d'hôtel de Liliane Bettencourt avait, une année durant, capté les conversations tenues dans la salle de l'hôtel particulier de Neuilly-Sur-Seine où Liliane Bettencourt tenait ses « réunions d'affaires » avec certains de ces proches, avant de remettre les 28 cd sur lesquels ont été consignés les enregistrements ainsi obtenus à Françoise Bettencourt Meyers, laquelle les a transmis à la brigade financière  ». Au «  soutien de son appel (...) Liliane Bettencourt expose qu'(...) il convient de s'attacher aux conditions de la captation et non pas au contenu de l'enregistrement pour caractériser un trouble manifestement illicite ; que tel est bien le cas des enregistrements litigieux, effectués à son insu et à celui de ses visiteurs, et dont la diffusion fait entrer le lecteur dans son intimité ; que par leur mode opératoire et leur durée, ces enregistrement ont nécessairement conduit leur auteur à pénétrer dans sa vie privée ; qu'elle relève que ces conversations ont été tenues par elle à son domicile, ce qui conforte leur caractère privé, étant de surcroît observé que certaines conversations sont des échanges avec un avocat ou un notaire, par nature confidentiels ; qu'elle ajoute que le choix des termes utilisés dans différents articles relatifs à ces enregistrements publiés par l'hebdomadaire le point démontre que celui-ci avait conscience du fait que les enregistrement avaient une provenance illicite ;  qu'elle soutient que la publication de tels enregistrements est interdite, qu'elle soit totale ou partielle, et ne saurait être légitimée par le droit à l'information ; que, selon elle, la jurisprudence dégagée par la cour européenne des droits de l'homme ne fait pas prévaloir le droit à l'information du public sur le droit au respect de la vie privée. » Les journaux ont soutenu à leur tour « que la publication était légitime, et qu'il est de jurisprudence constante que l'évocation par la presse d'informations touchant à la vie privée peut être légitime au regard de l'actualité et que, sur ce point, l'évocation de « l'affaire Bettencourt » impliquait nécessairement d'évoquer le patrimoine, la succession ou encore l'état de santé de l'intéressée ; qu'il est également de jurisprudence constante que la protection de la vie privée peut céder devant les nécessités de l'information du public lorsque la personne concernée est impliquée dans un événement ou dans une procédure judiciaire, ce qui est bien le cas en l'espèce ; que cette affaire est même un véritable cas d'école, compte tenu des multiples aspects justifiant l'information du public, qu'il s'agisse des aspects intéressant le contrôle d'un des principaux groupes industriels français, des soupçons d'abus de faiblesse commis sur la femme la plus riche de France, personnalité de premier plan, par un écrivain et photographe célèbre, des soupçons d'évasion fiscale, de favoritisme, de financement politique occulte, ainsi que ceux intéressant le traitement judiciaire de l'affaire et les dissensions apparues au sein de l'institution judiciaire  » et «  que ces enregistrements, pratiqués de façon clandestine, ont, par leur localisation et leur durée, nécessairement conduit leur auteur à pénétrer dans l'intimité des personnes concernées et de leurs interlocuteurs  ». C'est pourquoi les magistrats concluent «  que l'exigence de l'information du public dans une société démocratique (...), qui aurait pu être satisfaite par un travail d'investigation et d'analyse mené sous le bénéfice du droit au secret des sources, ne peut légitimer la publication, même par extraits, d'enregistrements obtenus en violation du droit au respect de la vie privée d'autrui  » et «  qu'il importe peu, enfin, que, depuis leur publication, les informations concernées aient été reprises, analysées et commentées par la presse, dès lors qu'il résulte de l'accès aux enregistrements litigieux par le biais du site www.lepoint.fr un trouble persistant à l'intimité de la vie privée de Liliane Bettencourt  ». A défaut de pouvoir combattre cette extension inattendue du Code pénal, les éditeurs passionnés par les affaires peuvent encore réfléchir avant de livrer en librairie le verbatim des conversations de Liliane B.
15.10 2013

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