Pendant quelques mois au début de l’année 2016, à l’approche de ses 40 ans, le photographe Amaury da Cunha a été obsédé par un tragique fait divers : la mort accidentelle d’un jeune homme de 24 ans dans le métro parisien. Histoire souterraine, son deuxième récit après Fond de l’œil : petites histoires de photographies (Rouergue, 2015), est une déambulation en morceaux, de drame en drame, car cette mort fait écho à d’autres dont celle, volontaire et inexplicable, de son frère qui s’est jeté dans le vide du haut d’une tour à Singapour en juillet 2009. D’accidents en suicides, ce "récit sous terre" procède par correspondances. A travers l’enquête sur l’inconnu du métro, Amaury da Cunha tisse avec d’autres histoires, éclatées dans l’espace et le temps, tout un réseau intime de stations et de lignes. De Paris à la Sicile où gît une histoire d’amour, de Singapour à Cherbourg qu’il va rejoindre pour le vernissage de l’exposition d’une amie photographe, "les drames se répondent, se complètent, bifurquent". Tout alimente le goût de la fuite et de la chute de celui qui se voit comme "un aiguilleur de drames" : les conversations au café de son quartier de la Butte-aux-Cailles, les archives familiales d’où il exhume le témoignage de son arrière-arrière-grand-père ingénieur "copain d’Emile Zola et de Gustave Eiffel" au moment de l’inauguration du métro en 1900.
"Pourquoi mon regard est-il souvent aimanté au sordide, au bizarre, à tout ce qui cloche, et menace de sombrer ?" s’interroge ce photographe tourmenté qui déchire les photos de l’amoureuse perdue, efface de la carte mémoire les clichés jamais regardés d’un pèlerinage à Singapour, mais écrit ce récit élégant, moins morbide qu’il n’y paraît, pour offrir d’autres sortes d’images à des deuils qui en ont été privés. Véronique Rossignol