Sigurjón Birgir Sigurdsson, né en 1962, connu sous le pseudonyme de Sjón, est l’un des artistes les plus en vue d’Islande, les plus protéiformes aussi. Poète, il est notamment l’auteur des paroles de nombre de succès de Björk, et a collaboré à l’écriture des chansons du film Dancer in the dark de Lars von Trier. Il est également l’auteur de six romans, dont trois déjà traduits chez Rivages. Le garçonqui n’existait pas est donc son quatrième livre publié en France. Ce roman hors du temps et hors des modes, qui se situe à Reykjavik, du 12 octobre au 6 décembre 1918, a pour héros Mani Stein Karlsson, 16 ans à l’époque.
Cet adolescent plus que particulier "vit sa vie dans les films", muets bien sûr. Ils lui permettent d’oublier qu’il est orphelin, fils d’une lépreuse, habitant avec sa grand-tante un grenier glacial prêté par charité, et que le monde autour de lui est en guerre. L’Islande, province du Danemark jusqu’à son autonomie de décembre 1918 (il lui faudra attendre son indépendance jusqu’en 1944), y participe et se voit frappée d’une terrible épidémie de ce qu’on appelait alors "grippe espagnole". Reykjavik devient une ville fantôme, même les cinémas sont fermés par les autorités, qui ont d’abord minimisé la maladie. Mani, lui aussi, sera gravement touché, victime de cauchemars, d’hallucinations, mais sa nature vigoureuse lui permettra d’en réchapper.
Le garçon recèle une autre singularité : il aime les hommes, à qui il se loue pour des rapports tarifés, sauf cet Anglais unijambiste dont il tombe amoureux et avec qui il embarque pour l’Angleterre, après s’être fait surprendre, en pleine cérémonie patriotique de victoire et d’indépendance, en train de faire l’amour avec un marin danois ! Scandale, arrestation, puis expulsion. En ce temps-là, il n’existait pas de terme en islandais pour désigner son "crime". "Homosexualitet" est un mot danois…
Quinze ans plus tard, Mani, devenu Peter Carlson, reviendra à Reyjkavik, majordome de riches gens de cinéma. Il n’ira même pas revoir Sola Guob, la seule fille, motarde et féministe, dont il ait été, jadis, un peu épris, platoniquement.
Et, bien plus tard, Sjón écrira cette belle histoire, avec beaucoup de délicatesse, en mémoire d’un certain Bosi, "marin, alcoolique, homme de livres, socialiste et homo", de sa famille, mort du sida en 1993. J.-C. P.