Lady Chatterley/Catherine M., l’association pouvait sembler évidente. Le rapprochement est pourtant récent, révèle Catherine Millet, qui raconte comment, rétive au départ à son style, elle est finalement tombée amoureuse sur le tard de David Herbert Lawrence (1885-1930), le "puritain scandaleux" comme l’appelait Daniel Gillès, l’un de ses biographes.
Pendant deux ans, la critique d’art a lu attentivement, profondément, l’écrivain anglais prolixe né dans la région minière des Midlands, mort de la tuberculose, utopiste et nomade, qui écrira trois versions des chaudes amours de Constance Chatterley et de son garde-chasse, dont la dernière paraîtra en 1928 à compte d’auteur. Elle a lu la douzaine de romans, les essais, les poèmes, la correspondance. S’est plongée dans les biographies, les portraits écrits par les femmes qui ont croisé sa route, les exégèses : celles d’Anthony Burgess dont la "libre et très personnelle étude a beaucoup contribué à la cristallisation de ma passion pour D. H. L.", note-t-elle, et d’Anaïs Nin qui saluait son "écriture androgyne". A l’opposé d’Henry Miller qui décelait chez Lawrence une "haine des femmes", Catherine Millet a trouvé au contraire dans l’œuvre, aux côtés de "cette ingénue totalement désinhibée qu’est Lady Chatterley", de très nombreuses héroïnes, audacieuses, entreprenantes, qui partent à la conquête de leur jouissance et de leur épanouissement sexuels : l’enjeu clé de l’émancipation féminine. Et impressionnée par "son approche frontale de l’amour physique", elle souligne qu’il est l’un des rares voire le seul écrivain mâle dont le thème majeur ait été le plaisir sexuel des femmes et, plus incroyable encore, qu’il ait su décrire avec "une véracité confondante" leur insatisfaction.
Liberté des désirs, nature voluptueuse, absence de sentiment de honte et de transgression - "les personnages de Lawrence ne voient tout simplement pas le mal dans le sexe" -, avec la précision et l’engagement qu’on lui connaît, Catherine Millet nous fait partager son intimité avec l’œuvre, insérant discrètement quelques éléments autobiographiques. Et donne, comme toujours dans ce genre d’exercice d’admiration réussi, envie de lire ou relire Lawrence. V. R.