En octobre 1485, à Saragosse, le père Arduès, grand inquisiteur d’Aragon, détesté de tous, est assassiné, en pleine cathédrale, par des conjurés. On apprendra que c’est le puissant Abraham Cuheno, un juif converso, qui a commandité l’opération. Mais ce meurtre va causer dans la ville une sorte de séisme, faire voler en éclats la fragile coexistence pacifique entre les différentes communautés. Parce que arrive à Saragosse le dominicain Torquemada, grand inquisiteur de toute l’Espagne, le pire des fanatiques, bien décidé à venger son collègue, moyennant récompense. Il voudrait aussi mettre la main sur les auteurs de ces gravures satiriques, placardées sur tous les murs de la ville, qui ne l’épargnent guère, notamment les plus belles, celles signées d’une rose avec ses épines.
Tandis que se multiplient arrestations, confiscations de biens et exécutions d’innocents, Angel de la Cruz et son mastiff Cerbero mènent l’enquête pour le compte de l’Inquisition. Angel est un hidalgo déchu, pouilleux, mais aussi un fin limier et un excellent portraitiste. Il dessine tout le temps. Rapidement, ses investigations le conduisent chez les juifs, les Cuheno (Abraham, sa fille Raquel, son fils Yéhuda, un boiteux joueur et sacrément rusé), et les Montesa, Ménassé et sa fille Léa, non seulement belle, mais aussi excellente graveuse. La rose de Saragosse, c’est elle. Angel en tombe éperdument amoureux, mais elle est promise à Yéhuda. Ce n’est qu’au terme de bien des péripéties et des drames (Ménassé, arrêté, emprisonné, mourra dans sa geôle, Léa échappera au bûcher à la dernière seconde) que les héros seront réunis et heureux, à Constantinople, en 1492, protégés par le sultan Bayezid le Juste, moyennant contreparties. On retrouvera Angel, lui, à Florence, auprès des frères Botticelli.
A travers ce bref roman historique, enlevé et palpitant, Raphaël Jerusalmy revient sur l’un des épisodes les plus douloureux de l’histoire, la persécution des juifs d’Espagne au XVe siècle. La gravure, cet "art des rebelles" en avance sur son temps, léger, discret et reproductible à l’infini, y trouve ses lettres de noblesse, symbole de la liberté de penser, de croire, de vivre comme l’on veut. Un rappel bien venu, en nos temps de retour à l’obscurantisme. J.-C. P.