Depuis sa thèse, soutenue en 2004, sur Vichy et le Commissariat général aux questions juives, éditée chez Grasset en 2006 sous le titre Vichy dans la « solution finale », Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS, poursuit un travail exigeant sur cette période de l'histoire. Il n'hésite pas aussi à publier des ouvrages d'intervention pour répondre à ceux qui manipulent le passé à des fins électorales comme ce fut le cas avec La falsification de l'histoire. Éric Zemmour, l'extrême droite, Vichy et les Juifs (Grasset, 2022) qui a connu un beau succès de librairie avec près de 20 000 exemplaires vendus.

La Rafle du Vél d'Hiv s'inscrit dans cette démarche qui s'appuie sur les documents, car tout n'a pas été exploré, même si beaucoup d'études ont déjà été consacrées à ce sujet. Là encore, l'originalité tient à l'approche. L'historien s'intéresse à l'administration et à la logistique policière qui se met en place. On retrouve ici cette façon de faire parler les archives les plus austères pour en tirer des scènes évocatrices. Car derrière les faits, il y a non seulement des individus pour les accomplir mais des structures pour les encadrer.

Sans notes en bas de pages pour que les lecteurs puissent profiter pleinement du récit qui se met en place, Laurent Joly a organisé son travail comme un dramaturge afin de montrer l'enchaînement du désastre. Les autorités de Vichy sont allées au-delà des demandes de l'occupant en proposant de rafler aussi les enfants, sans toutefois atteindre les chiffres escomptés. L'historien détaille cette opération bureaucratique avec ses protagonistes qui vont des antisémites fanatiques aux fonctionnaires zélés. D'abord viser les Juifs étrangers, puis les enfants. Les services de la Préfecture de police envisagent d'arrêter 25 000 personnes soit 3 000 de plus que les demandes allemandes. Finalement, 13 000 sont appréhendées, dont 4 000 enfants, par 4 500 policiers, en moins de deux jours. Parce qu'elle n'a qu'en partie rempli ses objectifs, cette grande rafle des 16 et 17 juillet 1942 se poursuit discrètement par des mini-rafles pour retrouver ceux qui y ont échappé. S'installent alors un climat de terreur et de traque dans la capitale mais aussi l'indignation des Parisiens.

Laurent Joly réussit l'exploit de nous faire redécouvrir un événement en cassant au passage la légende tenace de la dénomination « Opération vent printanier ». Du silence des archives, il fait surgir le bruissement du moment, les plaintes, les pleurs et les désastres psychologiques. Il montre aussi la spécificité de cette rafle qui n'aurait pu se dérouler de la même manière dans d'autres grandes villes de l'Europe nazie, parce que les Juifs y fréquentent au quotidien les gardiens de la paix dont les femmes sont souvent les concierges des immeubles où ils vivent. Une histoire « incarnée et globale » d'où émergent des vies, des destins brisés, des persécutés et des persécuteurs, tous entraînés par l'engrenage de la guerre avec son lot d'infamies, de haines, de souffrances et de grandeurs mêlées.