Un vieil homme vient, tous les jours, contempler les pierres tombales du Champ, alias le cimetière de Paulstadt. Installé sur « un vieux banc vermoulu », il entend des chuchotements. Celui des citoyens lamda, ensevelis ici-bas. Personne n'a pris le temps de les connaître vraiment. Ainsi, Susan souligne que « notre passé se résumait à présent à des images décolorées ». Raison de plus pour les reluquer sous la plume d'un écrivain brillant. Après deux romans, Le Tabac Tresniek (Sabine Wespieser, 2014), et Une vie entière (Sabine Wespieser, 2015), Robert Seethaler, signe un best-seller dans son pays. Le Viennois est traduit en une quinzaine de langues. Ce texte, d'une grande originalité, forme une symphonie composée du chant des oubliés. Il nous renvoie à la folie ou aux bribes de vies qui tissent le maillage d'un village. Sa poésie, limpide ou somptueuse, dresse des portraits en seulement quelques traits. A l'instar de Hannes, reporter soucieux de retracer la réalité. On n'a qu'à tendre l'oreille pour l'écouter.
Louise voulait sauver le ténébreux Lennie, accro aux jeux, mais l'amour a un prix. Sa grand-mère, Stéphanie, avait aussi ce souci protecteur, or les démons de la guerre ont emporté son insouciance. Alors que Heide collectionne les hommes avec gourmandise, Hanna a été aimée, malgré sa main estropiée. Gerd s'interroge sur la fatalité, face à une existence tissée de résignation et de frustration. Navid, « l'Arabe » immigré avec sa famille, semble plus réconcilié avec lui-même. A mille lieux de figures sombres, tel le Père Hoberg, un orphelin voué à la foi, mettant le feu à l'église. Ou Herm, un nihiliste hermétique à la joie, mais pas aux leçons de vie sarcastiques. L'humour le plus féroce étant attribué au maire lui-même. Un fantôme slalome entre toutes ces personnalités. Réputé fou, Richard Regnier estime que « l'homme vient de la terre, et la terre de l'homme. »
Robert Seethaler est un thanatopracteur-magicien. Il rend la parole et le corps aux morts, autrefois si vivants. Quels secrets avaient-ils emportés jusqu'alors ? Certains éprouvent le besoin de les révéler, d'autres s'enterrent avec leur mystère. « Dans la mort est la vérité, mais on ne doit pas la dire », note Annelie - doyenne de 105 ans - avant de conclure : « Je fus d'abord humaine, à présent je suis monde. » Seul un romancier de talent peut restituer avec beauté et parler de la mort pour porter plus haut le flambeau de la vie.
Le champ - Traduit de l'allemand (Autriche) par Elisabeth Landes
Sabine Wespieser
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 21 euros ; 280 p.
ISBN: 9782848053417