4 janvier > roman France > Pierre Péju

Un écrivain - le double de Pierre Péju - recherche l’inspiration. Comme si elle ne pouvait venir que d’en haut, il gravit la montagne. Mais le cristal du temps que lui donne un randonneur au début du récit n’est qu’un prétexte. D’ailleurs les deux hommes se retrouveront à la fin de l’aventure. Car c’est bien d’une aventure qu’il s’agit, une aventure qui hésite entre le roman et l’essai. Ce morceau de verre d’une pureté sans pareille permet à l’auteur de La petite Chartreuse (Gallimard, 2002) de pousser le curseur du temps, dans un sens ou dans l’autre, mais surtout de puiser dans cette notion fondamentale qu’est la reconnaissance. Le prof de philo que fut Péju connaît la richesse du concept. Aujourd’hui, le terme est plutôt employé comme un satisfecit donné par les médias, la notoriété ou l’argent. Mais la reconnaissance est aussi un sentiment noble, proche de la gratitude envers ceux qui ont comblé notre vide intérieur.

Avec le double de Péju nous retournons le passé comme un jardinier le ferait d’un champ. Petit à petit, l’écart se creuse entre les personnages du roman en cours et ceux qu’il retrouve dans son passé : une jeune lycéenne qui se prostitue, une curieuse madame Karpova qui n’organise pas que des conférences en Russie, un ami qui perd la mémoire, un lapin dépouillé comme on tire un sac, une femme qui veut se jeter dans la Seine, un psychiatre qui insulte l’eau qui gèle, deux variations sur un certain monsieur Goldberg, les migrerrants dans la jungle de Calais, une femme brisée par le départ de son mari, une Libyenne dévastée par les coutumes familiales, un hôtel plongé dans le noir. Moscou, Le Caire, Angkor, tout s’enchaîne et s’enchevêtre dans ces souvenirs vrais ou faux, situations absurdes ou burlesques qui font écho au chaos du temps. "Bribes de mémoires. Fragments de passé. Images de voyages déchirées en petits morceaux. Mais aussi regrets amers, boules de vieille angoisse hérissées de piquants, chevelures trempées de tristesse. Voilà ce qu’on glane, en soi, autour de soi, quand l’écriture est à marée basse."

Avec la belle assurance du conteur, dans ses phrases posées comme des touches de peinture sur une toile transparente, Péju indique que rien ne finit jamais, pas même le ciel. Ce "cristal du temps" n’est que le kaléidoscope d’une inspiration en panne que l’on brise sur les désordres de la vie et la réalité du monde. Laurent Lemire

10.11 2016

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