« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution » (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Sur ce socle, au fil d’enrichissements successifs d’origine nationale ou européenne, s’est construite la conception française de l’État de droit dont les institutions juridictionnelles sont au quotidien les garantes.
L’État de droit repose sur quelques idées simples que sont la primauté du droit, la séparation des pouvoirs, l’égalité devant la loi, la protection des droits fondamentaux, le contrôle de la légalité des actes et l’indépendance judiciaire.
Depuis plusieurs années, la meilleure défense pour un politique qui n’arrive pas à masquer ses carences, ses inconséquences et ses incompétences est de rejeter la faute sur l’État de droit, qui, après avoir participé de l’émancipation et de la liberté des peuples, serait aujourd’hui l’obstacle majeur à leur sécurité et à leur identité.
À cet égard, il est toujours savoureux de constater que ceux-là même qui contestent les fondements de cet État de droit sont les premiers à y recourir lorsque des ennuis judiciaires les poursuivent. Ils croient alors au procès équitable, au respect du contradictoire, à une justice impartiale et indépendante ou à la loyauté des preuves. Ce qui est bon pour eux serait mauvais pour les autres, particulièrement les étrangers.
Juger c'est décevoir des justiciables, l'opinion publique et des responsables politiques
En réalité, il a fallu des siècles pour construire cet équilibre fragile et utile qu’est l’État de droit caractérisé par la séparation des pouvoirs et la garantie des droits fondamentaux. Comme le rappelait Jacques Krynen, dans sa magnifique œuvre, l’État de Justice, France, XIIIe/XXe siècle, dans la collection La Bibliothèque des histoires, chez Gallimard, « L'état de justice bâti à la fin du Moyen Âge a durant tout l'ancien régime été marqué d'une opposition chronique entre la magistrature et le pouvoir incapable de s'accorder ni sur les conditions d'exercice de la juridictio [Jurisprudence], ni sur les modes de production de la législation. » Ce nœud gordien reste durable en France.
En réalité, juger est « le plus terrible des pouvoirs » comme l’écrivait Robespierre. La fonction de juger conduit toujours inexorablement à décevoir des justiciables, à subir les incompréhensions de l'opinion publique et à affronter les soupçons voire les accusations des responsables politiques. Et pourtant, rien de plus nécessaire. En effet, le droit oblige mais tout autant qu’il protège. Sans règles juridiques, il n’y a ni ordre, ni justice, ni paix. Car, en réalité, le sujet est moins celui de juger que du déclin de la loi.
La loi a perdu de son génie politique en raison de son hyper-technicité, sa faible normativité et de son illisibilité
En effet, dans la plupart des États occidentaux, la loi est en crise du fait de la concurrence des normes internes et externes, du contrôle de constitutionnalité et de l’inflation législative. Or, aujourd’hui, la loi a non seulement perdu de son génie politique en raison de son hyper-technicité, sa faible normativité et de son illisibilité, mais elle est surtout devenue le paravent de la carence du politique à agir et à répondre aux attentes des citoyens.
Bien loin du fantasme d’un gouvernement des juges qui n’a jamais existé, c’est à l’édification d’un vrai pouvoir judiciaire indépendant et responsable qu’il faut se consacrer, comme le soulignait Jean-François Burgelin, ancien procureur général de la Cour de Cassation. « Le juge n'est actuellement qu'un bâtard plus ou moins rejeté du pouvoir exécutif. Il doit devenir l'enfant légitime d'un état moderne, chacun devant être convaincu qu'il n'y a pas de nation crédible et respecté qui n’ait en son sein pouvoir judiciaire démocratiquement fondé et exercé. Ce pouvoir est à créer et à construire. C'est là une des tâches majeures pour les gouvernants du XXIe siècle. »