Tout ça, c’est la faute de sa mère, Isabelle, une sale égoïste, guère aimante. Lorsqu’il était dans son ventre, Benjamin Granger, dit Donald, surnom qu’il déteste, a été matraqué de décibels. Il faut dire que maman est batteuse du groupe punk de filles The Naked Tits ("Les Seins Nus", devise que certaine d’entre elles illustre volontiers sur scène). Leur tube, qu’elles glisseront dans leur premier album, avant que le groupe ne parte en vrille, s’appelle Gazoline Tango. D’où le titre du roman.
Benjamin, le héros de cette histoire racontée en alternance à la troisième ou à la première personne, joli tour de force, est donc né avec une infirmité : il ne supporte aucun bruit. Si ses tympans sont agressés, il arrête de respirer, devient bleu, s’évanouit, peut mourir. On appelle ça hyperacousie, et il vit avec un gros casque orange sur les oreilles. Comme sa mère le délaisse, qu’il n’a jamais entendu parler de son père (lequel fera son entrée en scène, discrètement, vers la fin du livre), le garçon s’est vite constitué son petit monde à lui. Avec Yolande, Sein Nu (mais plus maternelle) et son homme Isidore, un brancardier sénégalais musulman, amateur de poésie, de La Fontaine à Hérédia, qui lui apprendra à lire et à écrire, et même le latin. Il y a aussi le père Germain, curé peu conventionnel, poivrot et junkie, qui finira par se faire sacquer par sa hiérarchie, suspendre a divinis. Quand il n’est pas bourré, il joue superbement Bach à l’harmonium, seul "bruit" que Benjamin supporte et apprécie. Ou encore la vieille Mémé Lucienne, qui garde souvent le gamin et l’aime comme son petit-fils, en apparence inoffensive, mais qui se révélera une redoutable trafiquante d’"herbe qui fait rire", en association très lucrative avec Sofiane, le dealer local, avant que celui-ci, radicalisé, ne parte pour la Syrie. Il y a même Tarzan, le maître-nageur, qui enseignera à Benjamin l’art de l’apnée, où il va exceller. Un moment, il sera plongeur professionnel.
Côté vie sociale et sentimentale, rien n’est facile pour lui. A 20 ans, il quitte Lola, la gentille Gitane, sa première amoureuse, parce qu’elle respire la nuit, voire ronfle, et qu’il ne peut le supporter. Aura-t-il plus de chance avec Noémie, la sourde-muette ? Pour elle, il a appris le langage des signes. Mais il leur faudra affronter bien des aventures avant d’être réunis. Chut.
Ce cinquième roman de Franck Balandier est une bien jolie surprise, une histoire tendre et désopilante, des rebondissements à la pelle, une galerie de personnages inouïs et plein de bons sentiments, le tout porté par un style virtuose. Ça, on peut le dire haut et fort. J.-C. P.