Ces deux-là auraient pu se rencontrer dans un monastère. Belleface, 58 ans, lecteur compulsif de L'Ecclésiaste, en aurait été le supérieur. Paul Favrier, 26 ans, mystique en quête de soi-même, y aurait accompli son noviciat. Une relation père-fils se serait nouée entre eux. Mais le destin a voulu qu'ils se retrouvent sur une autre scène : en 1985, à Ras-al-Bayada, une enclave de 1 hectare entre le Liban et Israël, non loin de Sûr (l'antique Tyr), destinée, grâce à ses check-points, à empêcher les attentats à la voiture piégée du Hezbollah chiite. L'enclave est tenue par l'Armée du Liban du Sud, du général Antoine Lahad, des maronites alliés d'Israël, persuadés que ce n'est qu'ensemble que juifs et chrétiens pourront combattre le terrorisme islamiste. Une espèce de choc des civilisations, dans ce Proche-Orient conçu comme un rempart de l'Occident.
Belleface, c'est le nom qu'il s'est choisi dans la Légion étrangère, est un juif athée. Il est né Ariel Perlman, en 1927, dans une famille de la grande bourgeoisie de Varsovie, déportée en 1942, et exterminée à Treblinka. Lui a survécu grâce au sacrifice du père Tarkowski, lequel lui a légué sa Bible. Après l'Indochine, où cet homme en colère a pu, par miracle, se faire justice, il a migré en Israël, est devenu officier dans les commandos de Tsahal. Aujourd'hui en retraite, le Vieux, comme on le surnomme, dirige le check-point de Ras-al-Bayada. ll s'est pris d'affection pour Favrier, en qui il se retrouve. Le jeune homme, issu d'une famille bourgeoise catholique, a découvert le Liban grâce à son camarade Charles El-Khoury, tombé à 20 ans alors qu'il combattait dans les Forces libanaises, la milice chrétienne des Gemayel. Mystique, cherchant un sens à sa vie, c'est à Jérusalem qu'il a eu une révélation, et s'est engagé pour défendre le Liban, cette « terre chargée de la présence de Dieu ». La mort devient son métier, il y prend goût. Belleface est là pour le lui apprendre, et lui éviter, peut-être, la mort qui rôde.
Conçu comme une tragédie classique en trois jours et trois actes, ce beau roman sur la fraternité virile trouve ses racines chez Malraux et Kessel. Il rappelle Le désert des Tartares en plus métaphysique. Il est aussi nourri du vécu de Jean-René van der Plaetsen qui, avant d'être journaliste, fut casque bleu dans la Finul, au Liban.
Le métier de mourir
Grasset
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 19 euros ; 272 p.
ISBN: 9782246818380