La grand-mère de Donald ne cesse de raconter la même anecdote, cette histoire de courte paille qu’il fallait tirer pour savoir qui, d’entre elle et ses sœurs, aurait le droit de monter à l’avant de la camionnette. Les perdantes s’asseyaient sur la plate-forme du pick-up, assujetties aux secousses de ce "sacré tape-cul". "Donald attendait lui aussi le moment où la route bascule dans la coulée et révèle le quadrillage de l’agglomération. Du haut de la berge, il était facile de se projeter dans le passé. Pas seulement dans l’enfance de sa grand-mère, au temps des pionniers, mais aussi beaucoup plus loin en arrière. D’ici, il voyait bien qu’il vivait dans une faille." Après des nouvelles, On a eu du mal (L’Olivier, 2013), Jérémie Gindre revient avec un roman et nous transporte dans les grands espaces de l’Ouest canadien : Eastend, bourgade rurale perdue de la Saskatchewan, la province des Prairies. Douglas, le protagoniste de Pas d’éclairs sans tonnerre, souvent fourré chez ses grands-parents, des fermiers à la retraite qu’il désespère à ne pas vouloir s’intégrer au groupe : il ne fait pas partie des scouts, n’aime ni le rodéo ni le gymkhana. Donald est un petit promeneur solitaire et rêve un jour de trouver une griffe de T-rex. Pour l’instant, il n’a "récolté que des vestiges de mollusques et un bois de chevreuil blanchi". A côté du musée officiel qui s’ouvre à Eastend, Donald va être le curator de son propre petit musée intime, explorant les recoins de cette nature grandiose comme les plis des temps les plus anciens.
Comme dans son premier roman Les formes du relief (éd. Dasein, 2009) où un certain Douglas était saisi d’un vertige dans l’environnement des Rocheuses, l’auteur et plasticien né à Genève en 1978 se révèle un extraordinaire paysagiste. Chez lui, la beauté du paysage c’est avant tout l’œil du peintre, la sensibilité de la palette qui le déploie. S. J. R.