Les décisions sur le droit à l’image sont moins commentées qu’il y a quelques années. Ce désintérêt ne doit pas tromper les sociétés d’édition, qui doivent rester extrêmement prudentes en la matière.
Car la jurisprudence continue de préciser les contours du droit à l’image. Un jugement du Tribunal de grande instance de Paris, rendu le 11 juillet 2018, a ainsi sanctionné sévèrement l’éditeur d’un guide touristique sur l’Éthiopie, dont la couverture montrait le visage d’une jeune femme reproduit sans son autorisation. Tandis que, le 31 janvier 2018, la Cour de cassation rappelait que le droit à l’image – en l’occurrence celui d’Henri Salvador - s’éteint au décès de son titulaire.
Il est donc important de rappeler les contours du régime juridique du droit à l’image, autrement dit de la possibilité pour un particulier d’empêcher
a priori toute utilisation de son image.
Le droit à l’image des personnes, qui n’est pas prévu par une disposition législative particulière, ne repose, selon certains commentateurs, que sur une interprétation jurisprudentielle de certains articles du Code civil. Il peut s’agir, selon les jurisprudences, de l’article 9 relatif à la protection de la vie privée, comme de l’article 1382 qui régit la responsabilité délictuelle de droit commun. Quant au droit à l’image des biens, il repose sur une extension de l’article 544 du Code civil, propre au droit de propriété.
La première décision sur le droit à l’image remonterait à 1858. Mais c’est seulement depuis une quarantaine d’années que ce droit fait preuve d’un essor particulier.
Le droit à l’image est aujourd’hui admis comme un droit dit absolu et ce, malgré une série de décisions qui semblent infléchir, dans des cas souvent particuliers, une telle rigueur. Le principe dégagé par les juridictions est en effet unanime : chacun est titulaire des droits sur son image et est seul habilité à en autoriser l’utilisation.
Il n’est donc pas nécessaire qu’un préjudice autre que la diffusion non autorisée de l’image soit subi. La simple utilisation sans autorisation de l’image d’une personne physique est par principe répréhensible.
Toute personne, inconnue ou célèbre, peut donc s’opposer à une reproduction de son image sous quelque forme que ce soit. Il ne faut cependant pas ignorer que, en pratique, les juridictions reconnaissent parfois un droit à l’image affaibli à ceux dont l’existence professionnelle tient en grande partie à leur médiatisation et donc à l’utilisation de leur image (homme politique, artiste de cinéma, sportif, etc.). Paradoxalement, une autre tendance jurisprudentielle s’est dessinée : certains juges considèrent que ceux-là mêmes qui vivent de leur image ont vocation à être plus vigilants et par conséquent à être mieux indemnisés.
De même, toutes les formes d’utilisation d’images sont concernées. Le principe d’un droit à l’image vaut aussi bien pour un dessin que pour une photographie, ou encore pour une œuvre audiovisuelle mise en ligne sur une site.
Le consentement d’une personne à l’utilisation de son image, à sa reproduction et sa diffusion sous une forme quelconque, ne se présume pas. Les tribunaux l’ont souvent souligné : ce n’est pas parce qu’on autorise un photographe à prendre un cliché qu’on l’autorise à utiliser celui-ci; et cela quand bien même certaines décisions ont pu déduire des circonstances de prise des photographies que la personne photographiée avait implicitement autorisé l’utilisation de son image. La charge de la preuve du consentement incombe aux utilisateurs. C’est à eux de démontrer qu’ils ont obtenu l’autorisation de reproduire l’image de la personne représentée. Les photographes et utilisateurs d’images ne peuvent arguer d’utilisations antérieures que la personne représentée aurait admises ou tolérées.
L’affaire jugée par le Tribunal de grande instance de Paris, le 11 juillet 2018, illustre parfaitement ces principes.
Le cas d'une commerçante éthiopienne
Les juges rappellent d’abord que, aux termes de «
la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à? en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué. Elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à? sa diffusion sans son autorisation, ce droit trouvant application y compris dans le cadre de relations contractuelles, par lesquelles une personne autorise, moyennant rémunération, l’utilisation de son image à des fins commerciales. »
Or, la demanderesse était«
une jeune femme éthiopienne de 21 ans, commerçante, qui vit à Turmi, village situé dans le sud de l’Éthiopie » dont le visage avait été reproduit en couverture d’un guide de voyage sur l’Éthiopie.
Le tribunal souligne que, «
comme beaucoup d’autres habitants de Turmi, elle a pour habitude de se faire photographier par les touristes moyennant contrepartie financière, mais qu’elle n’a pas, en toute hypothèse, donné son autorisation pour l’utilisation de la photographie sur le guide de voyage. »
Le photographe arguait que cette femme «
était d’accord pour être photographiée moyennant une rémunération de 160 birrs - le tarif en vigueur étant d’un birr par photographie -, qu’il a pris seize clichés d’elle et qu’il est impossible qu’elle ait été photographiée à son insu. »
Mais, selon les magistrats, «
même si elle était d’accord pour être prise en photographie, il ne s’en déduit pas, pour autant, qu’elle avait autorisé l’utilisation du cliché en couverture ». La société éditrice ne versait d’ailleurs « aux débats aucune autorisation écrite de la demanderesse. (…) si l’autorisation d’exploiter une image peut être tacite, c’est à la condition que les circonstances de fait montrent qu’(elle) était, non seulement d’accord pour être photographiée, mais aussi nécessairement informée et d’accord pour que son image apparaisse en page de couverture du guide ».
Contourner le droit
Ajoutons aussi que le tribunal a relevé que jeune fille était mineure lors de la prise du cliché et que l’éditeur «
devait en outre justifier de l’accord des titulaires de l’autorité parentale »…
Il précise qu’«
il importe peu que ce soit par le biais d’un ami résidant en Europe (…) que la demanderesse ait été avisée de la publication litigieuse, la supposée “extorsion de fonds” par un tiers évoquée en défense étant une appréciation qui n’est corroborée par aucune pièce. »
Il est donc aujourd’hui pleinement admis que chacun peut valablement donner une autorisation d’exploiter une image. L’éditeur consciencieux et prudent ne peut donc plus se dispenser d’une autorisation de la part des personnes photographiées ou des propriétaires des biens et animaux photographiés. Il ne doit pas oublier que les autorisations concernant les mineurs sont délivrées par leurs parents.
Les éditeurs les plus soucieux de sécurité juridique utilisent déjà fréquemment les bases numériques idoines, pour affubler les manifestants de lunettes noires et de perruques, « flouter » les visages ; ils peuvent également ne publier que des ombres chinoises, des silhouettes déformées par la vitesse, voire des citadins qui ne montrent plus que leur dos…
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suite de l'article Le point sur le droit à l'image]