"La nature de l’homme est probablement constituée de plusieurs couches, invisibles les unes aux autres", écrit Shumona Sinha. D’où l’intérêt de les percer à la force d’une plume romanesque. Cette multiplicité se retrouve aussi dans l’identité, une thématique chère à la romancière. Née en Inde en 1973, elle vit depuis une quinzaine d’années à Paris, mais sa patrie se situe dans la langue française.
L’héroïne du roman Apatride aimerait partager cette conviction, or elle se heurte à trop de désillusions. La Ville lumière ne lui offre guère l’enchantement escompté. Esha a quitté Calcutta, mais jusqu’où devra-t-elle aller pour se faire naturaliser française ? "La notion de l’Autre était opaque pour beaucoup de gens, l’être étranger demeurait une énigme." Elle-même a du mal à oublier la terre qu’elle a laissée derrière elle. Comment ne pas songer à ses amis engagés dans une lutte sans merci ?
"Un pays, c’est toujours une problématique, un chantier sans fin." Mina en fait aussi l’expérience en Inde. Cette jeune fille, issue du milieu paysan, "survivait en malaxant la terre à laquelle elle était entièrement dévouée", mais des chamboulements politiques l’obligent à changer de cap. Une autre révolution l’anime : l’amour interdit pour son cousin germain.
Les germes de la violence dévorent la société indienne ou française. Insidieuse, elle affecte souvent les femmes. Esha souligne que "ce qui excédait sa mère, c’était sa part féminine". Comme dans ses livres précédents (Assommons les pauvres !, L’Olivier, 2011), Shumona Sinha pointe une actualité marquée par la brutalité, l’injustice et les égarés.
Kerenn Elkaïm