Il aura fallu un film, Appelle-moi par ton nom, signé de Luca Guadagnino, adapté par James Ivory, salué dans le monde entier, pour que l'œuvre d'André Aciman soit reconnue pour ce qu'elle est, l'une des plus gracieusement mélancoliques de ce temps. Ce natif d'Egypte, d'origine italo-turque et de culture française, écrit en anglais et vit et enseigne aux Etats-Unis. C'est dire combien l'exil et le goût des choses disparues sont au cœur même de son dispositif romanesque.

On retrouve tout cela dans son dernier roman. Ces Variations sentimentales, comme la quintessence même de son art, jusqu'à la saturation. Il s'agit de Paul, saisi à plusieurs moments de sa vie, aux prises avec le désir qui toujours l'excède ; Paul à la recherche de son temps perdu. On le découvre dans la vingtaine, de retour sur la petite île italienne de pêcheurs où ses parents avaient une propriété et recherchant celui qui fut son premier amour, aussi fulgurant que secret, Giovanni, un menuisier. On le retrouve à New York, avec une femme, Maud, qu'il aime et jalouse à parts égales. Puis il y aura Manfred croisé sur un court de tennis et qui deviendra la plus terrible et merveilleuse des obsessions. Chloé, avec laquelle il reviendra sur le campus de Nouvelle-Angleterre de leur jeunesse commune. Enfin, Heidi, une jeune musicologue, pour un goût de temps retrouvé, de sonate de Vinteuil.

Voilà, c'est Proust, toute l'histoire. André Aciman qui l'enseigna longtemps à l'université de New York, compose en ces pages une Recherche portée par l'énergie dramatique du désir. Qu'en est-il de ce Paul qui donne l'impression de se fuir autant que de se chercher ? Ses plaisirs et ses jours sont parfois désolés, mais pleins aussi de joies fugaces, d'épiphanies de toutes sortes. S'il n'est peut-être pas tout à fait en accord avec sa vie, il l'est avec le monde, avec ses horizons, avec sa géographie intime. C'est à la fois assez douloureux et très beau. On songe parfois au Salter crépusculaire de Et rien d'autre (L'Olivier, 2014) et plus encore à l'infiniment mélancolique Souvenirs d'un mariage (Piranha, 2016) de Louis Begley. Une promenade au jardin des souvenirs.