Disparition

L'écrivaine suisse Gemma Salem est décédée le 20 mai à son domicile de Vienne, en Autriche, à l'âge de 76 ans, a annoncé son éditeur, Arléa. Elle s'était installée dans un petit appartement de l'impériale en 1990 pour se rapprocher de la tombe de son auteur fétiche, Thomas Bernhard, auquel elle a consacré quatre ouvrages. Le dernier en date, Où sont ceux que ton cœur aime, est paru en octobre dernier chez Arléa. A travers son autoportrait, elle y rend hommage aux personnages qui ont marqué sa vie.

Toute sa carrière, Gemma Salem l'a consacré à célébrer celle des autres, écrivains, dramaturges, essayistes... Outre Thomas Bernhard, elle a aussi fait l'éloge de Mikhaïl Boulgakov, Franz Schubert et Lawrence Durell. L'écrivain voyageur britannique, qu'elle a côtoyé, est le sujet de son dernier livre, Larry (BakerStreet, 2019), une collection d'entretiens avec l'auteure menés par le romancier Stéphane Héaume. L'auteure travaillait par ailleurs sur deux livres consacrés à la romancière anglaise Jean Rhys et au compositeur autrichien Arnold Schönberg.

Une enfance au Moyen-Orient

Mais avant de devenir l'exégète de ses idoles, Gemma Salem a vécu une vie mouvementée, entre le Moyen-Orient et l'Europe. Née en 1943 à Antakya, en Turquie, elle passe son enfance dans les écoles catholiques d'Istanbul, Téhéran et Beyrouth, au gré des déplacements de ses parents, commerçants libanais. Quand son père décède, sa famille s'installe en Suisse, où elle enchaîne les petits boulots, danseuse, secrétaire ou encore comédienne. Elle revient sur cette période de sa vie dans deux autobiographies, Mes amis et autres ennemis (Zulma, 1995) et La Rumba à Beethoven (De Roux, 2014).

Elle finit par se marier et acquérir la nationalité suisse, mais préfère quitter le pays après la mort prématurée de son époux en 1979. Elle s'installe pour quelques années en France et commence à écrire. Son premier ouvrage, Le roman de Monsieur Boulgakov (l'Âge d'homme, 1982), nommé pour le prix Médicis, l'installe dans le paysage littéraire. Elle s'essaie ensuite au roman avec La passion de Giulia (Mercure de France, 1984) et Les exilés de Khorramshahr (Flammarion, 1986). Tout bascule lorsqu'elle découvre l’œuvre de l'écrivain autrichien Thomas Bernhard.

Prise d'une fascination qu'elle ne peut pas contenir, elle lui adresse une lettre, qui deviendra un livre, Lettre à l'hermite autrichien (La Table ronde, 1989). Bernhard meurt peu avant la publication et Gemma Salem entreprend, depuis Vienne même, de faire vivre son héritage littéraire et intellectuel. L'auteur est à l'époque peu apprécié de ses concitoyens en raison de ses prises de parole volontairement provocatrices et incendiaires. Le roman L'artiste (La Table ronde, 1991) et le récit Thomas Bernhard et les siens (La Table ronde, 1993) viendront compléter cet effort de réhabilitation, parachevé par Où sont ceux que ton cœur aime.

Comme elle le souhaitait, Gemma Salem est enterrée dans le cimetière de Grinzing, non loin de Thomas Bernhard, qu'elle se destinait à rejoindre depuis trente ans. Son éditrice chez Arléa, Anne Bourguignon, lui rend hommage dans un communiqué : "Elle me semblait fragile, son cœur débordait de toutes parts. Une enfant toujours étonnée de n'être pas assez aimée. Fière de n'être pas sage, triste de n'être pas comprise, accablée par ses erreurs, triomphante par ses joies. Un rire. Une solitaire entourée d'amis. Un petit typhon dans le monde de l'âme. Elle venait tout remuer, tout bouleverser. Elle voulait créer la vie et la voulait plus grande. Elle la chérissait."

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