S’il est un photographe qui a su représenter les bas-fonds du New York des années 1930 et 1940, c’est bien Weegee. Toujours à l’affût depuis son balcon opportunément situé au-dessus d’une armurerie du Lower East Side, ou plus souvent dans sa Chevrolet qui lui tenait lieu tout à la fois de bureau, de studio de développement, de bar, de salle à manger et de garçonnière, il passait ses nuits branché sur les fréquences de la police. Guettant les accidents, les incendies, les règlements de comptes ou les crimes passionnels, il était bien souvent le premier sur les lieux, réalisant pour les journaux new-yorkais des clichés saisissants, faisant émerger de la nuit noire, déchirée par l’éclair de son flash, des scènes surréelles.
Les Parisiens ont pu les découvrir en 2007 au musée Maillol, lors d’une formidable exposition rétrospective prolongée par un très beau livre chez Gallimard. Se concentrant sur certaines de ses photographies les plus célèbres, Max de Radiguès (au scénario) et Wauter Mannaert (dessin) en restituent l’arrière-plan, dévoilent l’envers du décor. Epousant le rythme endiablé de la chasse au scoop de Weegee, né Usher Fellig en 1899 en Pologne, au cœur du Yiddishland, émigré en 1906 aux Etats-Unis où son prénom est changé en Arthur avant de prendre en 1938 le pseudonyme sous lequel il s’est fait connaître, ils montrent comment la puissance de son œuvre s’explique par la combinaison d’un mode de vie, d’une méthode de travail et d’une ambition.
Voici Weegee rectifiant la position d’un macchabée encore chaud pour rendre son image plus évocatrice. Le voilà développant ses photos ou dactylographiant ses légendes en pleine rue, dans le coffre de sa Chevrolet, ou encore lutinant dans la même Chevrolet une prostituée pêchée dans un bar de nuit. Wauter Mannaert lui a fait un visage qui évoque parfois celui de… René Goscinny. Mais son dessin où tranchent le gris, le blanc et des noirs profonds s’inspire plutôt de l’univers du polar américain et d’auteurs new-yorkais de comics tel Frank Miller. Fabrice Piault