Bernard et Emilie, la narratrice, forment un couple en apparence très heureux, fou amoureux. C’est par amour que celui qu’elle n’appelle que "mon mari", avec fierté et dévotion, a décidé qu’ils partiraient s’installer à la campagne, là où leurs deux enfants, Laura et Paul, pourraient mieux s’épanouir. Elle s’ennuiera bien un peu, mais si ça fait plaisir à son chéri… Sauf que lui aussi commence à éprouver, dans leur relation, une forme de lassitude. Alors, il a une idée de génie : plutôt que de tromper sa femme en cachette, comme tant d’autres, il préfère "inviter" chez eux, soi-disant pour elle, "[s]on cœur", afin de la distraire, d’autres femmes, ses maîtresses. Au début, sûre de son statut d’épouse, de préférée de cet homme qu’elle a conquis de haute lutte contre l’avis de ses parents, elle accepte ce qui n’est qu’un défilé d’éphémères : Aurélie, Evelyne, Bénédicte, Odile… Elle prend même, à cette situation, un certain plaisir pervers. Mais voici Elsa, "la Jument", et surtout Sabine, "la Grenouille", alcoolique, impudique, envahissante, que "[s]on mari" installe véritablement dans sa vie et dans leur maison, avec enfants et petits-enfants. Tandis que Paul, trop jeune, accepte, Laura, ado, entre en révolte contre son père. Emilie, elle, va devoir lutter, sans avoir toutes les armes. Le roman, alors, bascule du farfelu vers le drame.
Avec une infinie subtilité, tout en douceur, Alma Brami s’immisce dans l’existence de ce couple étrange, dans la tête et dans le cœur de son héroïne, victime de son trop grand amour pour un dangereux détraqué, ainsi qu’elle s’en apercevra enfin.
Jean-Claude Perrier