La SGDL n'a pas hésité à s’écarter des principes du contrat d’édition et à prendre "des chemins de traverse", selon l’intitulé d’une des tables rondes, en invitant Amazon à parler de Kindle Direct Publishing (KDP), son programme d’auto-édition. "Même quand on n'est pas très bon en math, il semble évident qu'on va gagner plus sur une plate forme qui vous laisse 70"% du prix de vente d'un livre à 4 ou 5 euros, par rapport aux 8"% de droits sur un livre à 22 euros", a calculé Laurent Bettoni, un des premiers utilisateurs de KDP, qu’Amazon met en avant.
Ecrivain qui avait déjà été publié, et qui maîtrise les différentes étapes de la production d’un livre, il s’est tourné vers l’auto-édition faute d’avoir rencontré chez les éditeurs de l’intérêt pour ses manuscrits suivants. Il s’en porte très bien depuis, et a même trouvé du travail dans l’édition chez La Bourdonnaye. "Mais ces 70 % perçus sur le prix d’un livre correspondent à tout le travail de correction, de fabrication, de promotion, etc. du livre qu’il faut faire soi-même", prévient-il.
"L’auto-édition ne garantit pas le succès d’un livre, elle donne juste de la liberté à l’auteur" a averti Marie-Pierre Sangouard, responsable des contenus Kindle d’Amazon France. "Près de 40 % des titres du top 100 de nos meilleures ventes numériques sont publiés dans le programme KDP", a-t-elle toutefois glissé sans préciser leur nombre total, qui se mesure en "dizaines de milliers".
L’auto-édition est aussi devenu un moyen de se faire repérer par les éditeurs qui surveillent désormais ces classements. La Bourdonnaye alimente ainsi une de ses collections confiée à Laurent Bettoni. Et l’édition numérique devient une nouvelle source de revenus, qui peut même paraître généreuse : La Bourdonnaye, de même que la nouvelle maison E-Fraction, verse 25 % de droits sur les livres numériques, mais sans à-valoir.
Pénélope Bagieu, qui a fait le chemin inverse, de son blog vers la bande dessinée classiquement éditée, a bien mesuré la valeur du travail de l’auteur sur les réseaux sociaux, par exemple dans la préparation de ses séances de dédicaces. Mais les expériences ne sont pas toujours reproductibles et couronnées de succès, comme en a témoigné avec une certaine auto-dérision Llucia Ramis, jeune auteure barcelonaise remarquée par un éditeur numérique anglophone, dont elle n’a plus entendu parler une fois son livre traduit.
Sur un modèle en devenir, mais qui semble plus solide, Patrick Gambache a évoqué la mise en place du prêt numérique en bibliothèque, dont les droits sont calqués sur ceux de la vente de volumes papiers à ces mêmes bibliothèques. Une continuité très différente de la rémunération proposée par Kindle Unlimited, le système d’abonnement ouvert par Amazon aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne. Marie-Pierre Sangouard ne peut rien dire de son lancement en France, sinon qu’il est certain, et qu’un livre emprunté rapportait le mois dernier 1,56 dollars (1,23 euros) à son auteur du programme KDP (la rémunération varie en fonction de l’abondement d’Amazon).
C’est supérieur aux recettes des systèmes d’abonnement financés par la publicité, d’abord testés dans la musique, et qui arrivent dans le livre. "Les revenus sont epsilonesques", a tranché David El Sayegh, secrétaire général de la Sacem, société de gestion de droits dans la musique, venu partager l’expérience d’un secteur dont l’évolution paraît toujours aussi inquiétante aux professionnels du livre.
La suite du forum a évoqué également les revenus complémentaires qui peuvent venir des bourses de création, des résidences d’auteur, des prestations publiques (pas toujours) rémunérées. Des recettes provenant de sources multiples, ce qui ne facilite pas leur obtention par rapport à d’autres droits annexes au fonctionnement bien rôdé : au total, le droit de copie, le droit de prêt et le droit de copie privée génèrent environ 16 millions d’euros à répartir entre les auteurs.
Ces auteurs, qui espéraient se faire entendre de la ministre de la Culture sur la thématique de leur forum et en attendaient une manifestation d’attention sous la forme d’une visite promise à la clôture de ces deux journées, ont appris qu’ils avaient dû faire l’objet d’un arbitrage douloureux : Fleur Pellerin était mobilisée pour l’inauguration de la FIAC.