En cette rentrée universitaire, que savons-nous du rapport des bibliothèques avec leurs publics ? Comme les bibliothèques municipales, les BU (ou Services Communs de Documentation) sont confrontées à une mutation des pratiques informationnelles des étudiants et des chercheurs. Elles voient leurs budgets s'affaiblir du fait de la double contrainte d'une fragilisation des finances des universités devenues autonomes et de l'augmentation des coûts des ressources électroniques.
Dans ce contexte, la connaissance des publics devient déterminante. Et hélas, les données manquent pour prendre
la mesure de la situation et de son évolution. L’Enquête Statistique Générale auprès des Bibliothèques Universitaires (ESGBU) semble continuer mais on ne dispose plus de synthèse depuis 2010. Les données sont recueillies par les établissements mais ne sont pas exploitées nationalement. Du coup, il est impossible d'avoir une vision de l'évolution des prêts ou du nombre d'entrées enregistrées par les BU. L'observateur en est réduit à piocher dans les rapports d'activité des établissements séparément. Par exemple, la BU de Paris 8 connaît
une érosion du nombre d’emprunteurs actifs (en baisse de 13,5% depuis 2007) mais une légère hausse des visites. La bibliothèque de Sciences Po Paris, qui a recruté une efficace responsable marketing, a connu
une évolution semblable mais plus marquée puisque le nombre de prêts annuel par lecteur est passé de 21 à 14 entre 2009 et 2014 alors que les visites ont presque doublé durant la même période.
L'
enquête de l'Observatoire de la Vie Etudiante pourrait être une source en ce qu'elle a connu cinq éditions depuis l'an 2000. Mais hélas, la formulation des questions a changé ce qui rend très aléatoire la comparaison des résultats. Entre 2003 et 2010, grâce à une question identique, on repère une légère érosion de la fréquentation au moins une fois par semaine de la BU (de 51% à 47%).
Bref, on manque de données pour chercher à cerner la situation afin de pouvoir avoir prise dessus. Il est pourtant question qu'elles soient versées sur
le Portail d'aide au pilotage de l'enseignement supérieur et la recherche (PapESR)... Piloter les BU sans tableau de bord...
Cette déficience est aussi un problème stratégique. Faute de données, les BU n'ont aucune visibilité sur les services qu'elles rendent à la communauté universitaire. On ne trouve aucun chiffre sur le nombre de prêts ou de visites dans le document officiel sur
L'état de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en France dans ses trois dernières livraisons. Et même quand on cherche dans un document plus exhaustif (plus de 400 pages !),
Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche, on ne trouve aucune trace de ces informations. C'est comme si les étudiants, scrutés sous tous les angles, n'avaient pas usage des BU ! Le mot « documentation » n'apparaît pas non plus. Comme le mot « bibliothèque », s'il apparaît c'est pour parler des personnels, en l’occurrence non enseignants...
Autrement dit, à consulter ces documents, les BU « coûtent » en personnels mais on se demande bien ce qu'elles apportent comme services ! Comment se satisfaire d'une telle situation alors que les étudiants ont absolument besoin de ces lieux d'études qu'ils fréquentent beaucoup ?
Rappelons que
les données de 2010 (dernières disponibles) dénombraient plus de 60 millions de visites ! Comment s'étonner aussi que les BU aient du mal
à défendre leurs budgets, y compris d'acquisitions tant elles sont rendues invisibles ?
C'est particulièrement étonnant (et regrettable) car les BU ont engagé leur mue. On le constate avec des ouvrages récents sur le sujet (
Bibliothèques universitaires : nouveaux horizons ou
L’avenir des bibliothèques : l’exemple des bibliothèques universitaires). Et cela ne reste pas à l’état d’idées comme on l’observe depuis déjà longtemps du côté du numérique et de l'offre de ressources et collections en ligne avec un succès qu'il serait intéressant de pouvoir mesurer globalement. Depuis quelques années, les horaires d'ouverture ont été élargis pour atteindre des niveaux très acceptables même si certains souhaiteraient encore davantage et notamment les vacances. Du point de vue des locaux, de nouveaux établissements ont vu le jour et proposent des espaces vastes, variés et accueillants comme dans la nouvelle BU de santé de Caen (
voir le projet). Y compris l'accueil est devenue une préoccupation des responsables d'établissement au point de mettre en place la Charte Marianne.
Bref, les BU changent et font face à des enjeux de taille mais
on ne dispose pas de données sur leur fréquentation alors même qu’on sait qu’elle participe à la réussite des étudiants. Cette défaillance est de nature à les fragiliser et il serait utile qu'elles disposent d'un outil à la hauteur, à l'image de celui que les bibliothèques municipales ont réussi à construire, un
observatoire de la lecture publique.