17 octobre > Histoire France

Philippe Artières- Photo DR/LA DÉCOUVERTE

Tout ce qui s’écrit intéresse Philippe Artières. Dans Clinique de l’écriture, son premier livre publié en 1998 (réédité au même office en «Découverte poche», 264 p., 11 euros), il expliquait comment la médecine avait cherché à discerner le pathologique dans les mots et dans leurs graphies. L’historien, directeur de recherche au CNRS, sonde en effet depuis longtemps l’espace urbain pour voir comment les mots apparaissent sur les banderoles, les murs ou même la peau sous la forme de tatouages. La police de l’écriture dont il est ici question apparaît au tournant des XIXe et XXe siècles. Au moment de la vague des attentats anarchistes, on trouve des messages anonymes comme celui-ci : « Voici l’échantillon de la poudre qui vous transformera en chair à saucisse pour notre triomphe. Un ami de Ravachol. » Sur les palissades, des inscriptions à la craie comme « Du pain ou du plomb » sont vite effacées par les gardiens de la paix.

La police porte ainsi un nouveau regard sur ces mots de la contestation. La surveillance ne suffit plus. Il lui faut aussi contrôler cette délinquance verbale dans la ville. Pour cela, elle en vient à étudier scientifiquement ces écritures anonymes dont la puissance subversive n’échappe pas à l’Etat. Philippe Artières nous conduit ainsi de Paris à Lyon, dans le laboratoire d’Edmond Locard, l’un des piliers de la police scientifique de l’entre-deux-guerres, qui avait pris pour modèle Sherlock Holmes. L’homme était une sommité de la police de l’écriture, un expert de la lettre anonyme, et un jeune romancier qui l’admirait particulièrement lui adressait volontiers ses ouvrages dans les années 1940. « J’ai le plaisir de soumettre une fois de plus à votre indulgence critique un petit dernier, en m’excusant peut-être pour le pessimisme qu’il contient. » Il s’appelait Frédéric Dard…

Dans le sillage d’un Michel Foucault, voici donc un travail savant et savoureux qui se distingue par son originalité. Il y a toujours quelque chose d’excitant dans l’approche de Philippe Artières, qui tient en grande partie à sa façon d’observer nos sociétés modernes et à traquer le sens derrière les signes.

Laurent Lemire

 

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