Auteur de quatre romans dont L’intégriste malgré lui (Denoël, 2007), best-seller mondial, Mohsin Hamid, né en 1971 à Lahore où il vit à nouveau, est l’un des plus brillants représentants d’une littérature qui prend le réel à bras-le-corps, pour le transcender en fiction avec, comme ici, une forte portée symbolique. Quoique naturalisé britannique, il est l’une des voix du Pakistan, son pays d’origine, toujours en plein chaos et assez hermétique à l’Occident.
L’histoire débute dans un pays d’Orient non précisé, qui pourrait être la Syrie en pleine guerre civile, avec attentats, et mise en coupe réglée par ceux que Hamid nomme "les militants". Dans ce contexte, se rencontrent Saïd et Nadia, deux jeunes gens modernes, de la middle-class, qui travaillent, lui dans la publicité, elle dans une compagnie d’assurances. Ils ne pratiquent pas l’islam. Elle, fâchée avec sa famille, habite seule, roule en scooter, et si elle porte le voile, c’est juste pour être tranquille. Mais elle fume des joints, et elle n’est plus vierge ! Entre eux, c’est un coup de foudre, mais chaste. D’ailleurs, il n’est pas sûr que tout au long de leurs aventures, ils aient même fait une fois "vraiment" l’amour.
La situation en ville devient intenable : couvre-feu, restrictions, chômage imposé, mais on s’en accommode. Jusqu’à ce que la mère de Saïd soit tuée. Alors que son père ne peut se résoudre à abandonner ce qui a fait sa vie, les jeunes décident, avec sa bénédiction, de partir. Pour ce faire, ils vont utiliser les services d’un passeur, qui connaît le "passage des portes". De manière fantastique, Saïd et Nadia se retrouvent d’abord dans un camp de réfugiés à Mykonos, puis à Londres, dans un squat de migrants, alors que la ville se trouve en proie à une véritable guerre entre "nativistes" et étrangers. Et enfin, leur couple souffrant de tensions et d’un certain désamour - Saïd, pour sa part, effectuant un retour à la religion -, ils atterrissent en Californie.
Cinquante ans après, ils se retrouveront chez eux, dans un pays où ils ne se reconnaissent plus guère. Et c’est le seul moment un peu faible du roman. Le reste est original, très actuel, et sa philosophie résumée par cette formule : "Nous sommes tous des émigrés à travers le temps."Jean-Claude Perrier