On savait Paris ville du chiffon, mais on avait oublié qu’elle fut aussi celle des chiffonniers. Avec de magnifiques illustrations et photographies, Antoine Compagnon vient nous le rappeler. A partir de son cours au Collège de France sur "Les chiffonniers littéraires : Baudelaire et les autres", l’auteur du best-seller Un été avec Montaigne (éditions des Equateurs/France Inter, 2013) nous ouvre les portes d’une ville mystérieuse où, la nuit tombée, de curieux personnages, hotte au dos et crochet en main, viennent fouiller les rebuts des citadins. Avec eux, rien ne se perd, tout se revend. Ils sont si utiles à la bonne digestion urbaine qu’on finit par les voir comme des Diogène du ruisseau, des gens qui auraient choisi ce métier par goût de la liberté.
Avec force citations, Antoine Compagnon explique la vie de ces biffins qui furent près de 6 000 entre la fin du second Empire et les débuts de la IIIe République. Ils constituent une figure cardinale du XIXe siècle parisien. En cela ils s’inscrivent autant comme acteurs économiques que dans l’imaginaire des écrivains comme Baudelaire, Hugo ou Gautier. Avec eux, le coin de rue - on disait le coin de la borne - devient le lieu de rencontres des ordures, des ivrognes et des prostituées. Pas étonnant que "Le vin des chiffonniers" figure en bonne place dans Les fleurs du mal. Ces chiffonniers qui glanaient, grappillaient et triaient ont commencé à disparaître lorsqu’en 1883 le préfet de la Seine fit installer au coin des rues des boîtes avec des couvercles. Il s’appelait Eugène Poubelle. L. L.