BookExpo

Les six mots de l’Amérique

Sur North Michigan avenue à Chicago. - Photo Fabrice Piault/LH

Les six mots de l’Amérique

Alors que le marché se redresse et que le numérique a atteint un palier, la foire professionnelle BookExpo America, exceptionnellement organisée à Chicago avant de revenir à New York l’an prochain, a fait apparaître de nouvelles priorités des éditeurs et des libraires.

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Par Fabrice Piault
Créé le 20.05.2016 à 02h00 ,
Mis à jour le 20.05.2016 à 10h08


Sortie un peu sonnée l’an dernier, d’un maelström de cinq ans (1), l’industrie américaine du livre, réunie du 11 au 13 mai à Chicago au salon professionnel BookExpo America (BEA), se découvre dans un nouveau monde. En apparence, il n’est pas si différent de l’ancien. "Finalement, mon fils de 10 ans préfère lire sur papier, s’amuse le P-DG de Grove Atlantic, Morgan Entrekin. Et les libraires indépendants vont bien." En 2015 aux Etats-Unis, selon Nielsen Bookscan, en nombre d’exemplaires, les ventes de livres imprimés ont progressé de 2,8 % quand les ventes numériques chutaient de 13 %. Le US Census Bureau (office américain des statistiques) note qu’en valeur le marché du livre a crû pour la première fois depuis 2007, à + 2,5 %. Cependant, la révolution numérique a démultiplié les sources de création, les formats d’édition et les canaux de vente. La promotion a été bouleversée par les réseaux sociaux, plaçant éditeurs et libraires face à de nouveaux défis. Tour d’horizon en six mots.

Author

Le boom de l’autoédition et la remise en cause du droit d’auteur par les grands opérateurs du numérique au nom d’une vision extensive du fair use (équivalent de notre droit de citation) réintroduisent l’auteur au cœur des problématiques de la chaîne du livre. A BookExpo America, 200 auteurs ont débattu de l’identité de l’écrivain à l’âge numérique. Et dans un symposium pour "repenser le contrat d’édition", on a pu voir la directrice générale de l’Authors Guild, l’association des auteurs américains, un agent littéraire et les P-DG d’Hachette Book Group, Michael Pietsch, et de Grove Atlantic s’accorder sur la proposition d’un taux plancher de droits d’auteur valable pour tous les formats d’édition. Ce climat consensuel s’établit alors que l’Authors Guild sort de douze années de procédures, vaines, contre Google Livres (2) et l’association des éditeurs américains (AAP) d’une année de batailles pour défendre la propriété intellectuelle face au ministère du Commerce et aux pirates du Net.

Bookstore (independent)

A l’autre bout de la chaîne, la librairie (indépendante) séduit à nouveau les éditeurs même si elle pèse moins de 8 % du marché. "Elle va bien", se réjouit Morgan Entrekin. "Elle se développe", renchérit Michael Pietsch. Après l’auteur d’Hachette James Patterson, qui utilise depuis deux ans une partie de sa fortune personnelle pour soutenir les projets innovants des libraires, HarperCollins lance le 1er juillet un programme d’aide aux librairies qui s’agrandissent ou qui ouvrent des succursales.

"Les éditeurs ont compris que c’est nous qui faisons découvrir les livres qu’Amazon, qui ne fait rien découvrir du tout, vendra par la suite", observe Oren Teicher, le directeur général de l’association des libraires américains (ABA), dont le nombre d’adhérents a encore augmenté de 3,7 % en 2015, à 1 775 entreprises rassemblant 2 311 librairies. Pour lui, "le gros sujet reste la croissance persistante de la vente en ligne. Aujourd’hui, souligne Oren Teicher, hors livres professionnels et d’éducation, Amazon assure la moitié des ventes de livres imprimés et 70 à 80 % des ventes numériques." Aussi l’ABA veut-elle rendre les librairies indépendantes "meilleures, plus belles et plus efficaces" en misant sur le "new localism", un concept global qui vise à fidéliser la clientèle autour du commerce de proximité.

Consolidation

Après la fusion, il y a trois ans, de Penguin et de Random House, la concentration s’étend à la distribution avec le partage, ce printemps, du groupe indépendant Perseus entre Hachette Book Group, qui reprend ses activités éditoriales (3), et le principal distributeur et grossiste, Ingram, qui intègre ses importantes activités de diffusion et de distribution. Beaux joueurs, les concurrents y voient surtout des opportunités. Dans l’édition, "en privilégiant les gros livres, les groupes nous laissent beaucoup d’opportunités pour transformer les titres "intermédiaires" en succès", se réjouit Morgan Entrekin. Dans la distribution, "avec 400 clients, nous sommes désormais le dernier distributeur significatif d’éditeurs indépendants", note le directeur général d’Independent Publishers Group, Joe Matthews, pour qui le défi consiste à "rester suffisamment gros pour tenir notre place face aux géants, mais pas trop, pour demeurer proche de nos éditeurs".

Cross channel

A l’heure du décloisonnement des médias, les éditeurs ne jurent plus que par les stratégies "intercanaux" pour vendre le livre au-delà de ses circuits de vente traditionnels. Chronicle Books affiche une nouvelle année de forte croissance "parce que nous nous considérons toujours plus comme faisant partie de l’industrie des loisirs et de l’information", souligne son P-DG, Jack Jensen, précurseur dans la vente de livres illustrés dans les boutiques cadeaux, papeteries, animaleries, magasins de décoration, de design ou de cuisine. Abrams, qui développe aussi le cross channel depuis deux ans, réalise 15 à 20 % de son chiffre d’affaires (20 à 25 % avec Internet) dans ces commerces spécialisés, indique son P-DG, Michael Jacobs, qui veut "diversifier [ses] points de vente". Chez Hachette, Michael Pietsch veut vendre "dans des réseaux différents, comme ceux qu’utilisent les magazines", les nouvelles séries de romans populaires de 140 pages à 4,99 dollars (4,40 euros) lancées en juin par l’auteur vedette James Patterson.

Discoverability

Reste à assurer la "découvrabilité" des livres, c’est-à-dire la possibilité pour chacun de trouver son public alors que, selon Joe Matthews, "400 000 titres, en majorité autoédités, sont publiés chaque année aux Etats-Unis, mais seulement 15 000 mis en place dans les librairies de la principale chaîne, Barnes & Noble". Internet et les réseaux sociaux, sur lesquels "on peut cibler les personnes intéressées par tel ou tel contenu", rappelle Michael Pietsch, sont appelés à la rescousse. Les libraires font valoir leur rôle de conseil. Pour les séduire, le réseautage est devenu essentiel. C’est "parce que c’est un moment de contact très important" (Michael Pietsch) ou "un lieu de discussion majeur" (Jack Jensen) que les éditeurs viennent à BEA. Son nouveau directeur, Brien McDonald, a d’ailleurs prévu d’y renforcer cette dimension l’an prochain en "créant de nouvelles plateformes de rencontres".

Print

Le retour du print, symbolisé par le succès des livres de coloriages, phénoménale vague qui déferle sur le marché américain après l’Angleterre et la France, est accueilli avec bonheur. "Les éditeurs de livres physiques n’ont pas disparu !" se félicite Michael Jacobs. A contrario, le digital (numérique) n’est, provisoirement, plus tellement un sujet en lui-même d’autant que, selon Michael Jacobs, "le Nook de Barnes & Noble est en sommeil et Apple n’a pas tellement investi". Le P-DG d’Abrams prépare d’ailleurs pour janvier 2017 une nouvelle ligne imprimée de narrative nonfiction, même s’il les produira aussi en version numérique, "qui a l’avantage de procurer de très bonnes marges". Dans le livre illustré, "on a beaucoup investi pour imaginer des produits innovants, mais ils coûtaient très cher et se perdaient dans l’Appstore. On n’a pas encore trouvé l’appareil ou la plateforme qui justifient de tels développements", déplore Jack Jensen. En littérature générale, "même s’il porte des spécificités marketing et commerciales, le livre numérique est complètement intégré à notre activité comme un format parmi d’autres", explique Michael Pietsch. Hachette Book Group réfléchit bien à une nouvelle génération de livres numériques, au croisement du livre et du jeu vidéo. Mais, pour l’instant, dans l’édition américaine, ce type de recherche reste cantonné à des cercles de spécialistes. Jusqu’à quand ?

(1) "USA : pourquoi ça va mieux", LH 1045, du 5.6.2015, p. 18-21.

(2) "Google Livres : 25 millions d’ebooks pour quoi faire ?", LH 1085, du 13.5.2016, p. 24-25.

(3) "L’Amérique d’Arnaud Nourry, LH 1080 du 8.4.2016, p. 28-29.

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