Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, définit l’exposition « Masculin/Masculin » (présentée au musée d’Orsay du 24 septembre au 2 janvier 2014) comme un exemple d’« histoire culturelle » pluridisciplinaire plutôt que d’histoire de l’art pure. Il l’a voulue, d’autre part, « ludique et savante », bousculant la chronologie, mêlant toutes les disciplines artistiques (peinture, sculpture, dessin, gravure, avec la photo, ou même le cinéma) et chamboulant quelques idées reçues. Pari gagné, apparemment, si l’on en juge par le volumineux catalogue, lequel s’ouvre sur une interview (un peu conventionnelle, façon Têtu) de Pierre et Gilles : tout un symbole.
Pas question, donc, d’un strict déroulé historique, même si l’on court de l’Antiquité à nos jours, du Doryphore de Polyclète à Pink Narcissus, le nanar homo (mais culte) de James Bidgood. Pas question non plus de critères simplement esthétiques : les innombrables dessins érotiques de Cocteau, déjà abondamment montrés, lassent un peu ; certaines photos ne sont que des documents « académiques ».
Le parcours, que le petit « Découvertes » de Philippe Comar (professeur de morphologie et de dessin aux Beaux-Arts) synthétise astucieusement, se veut plutôt thématique et « évolutionniste » du point de vue des mentalités. Voire un peu provocateur, avec, entre autres exemples, le très troublant Finistère de Paul Cadmus, où deux adolescents se draguent ostensiblement, ou encore L’origine de la guerre d’Orlan, alter ego masculin de la « scandaleuse » Origine du monde de Courbet. Comme si, 2 500 ans après les Grecs, où seul l’éphèbe était représenté nu tandis que le corps féminin se devait montrer vêtu, drapé, on redécouvrait le potentiel sexuel de la représentation du corps masculin. Pour Platon, le « beau sexe » était celui d’Alcibiade. Il y a longtemps que nos publicitaires - non représentés dans l’exposition, apparemment - l’ont compris, qui usent abondamment de « Majos desnudos ».
Entre les deux, ainsi que le rappelle Charles Dantzig dans sa contribution au catalogue, « les Romains ont inventé la pudeur ». Ce qui nous a valu ensuite des siècles d’Endymion, de Christ ou de Saint-Sébastien prétextes, ou encore des pans de tissu ou des baudriers d’épée venant opportunément « couvrir ce (sexe) que l’on ne saurait voir ».
L’histoire de l’art occidental fourmille de Braghettone, de Tartuffe et autres pères-la-pudeur. Pas sûr que leurs actuels épigones apprécient cette exposition avec ses livres, très gais. J.-C. P.