Une femme dans sa chambre d'hôtel ne parvient pas à dormir. Elle trouve une lettre glissée entre les pages d'un vieux guide qui traînait. La lettre est adressée à une amante qui a caché l'auteur de la missive alors qu'il était recherché ; le jeune homme a sans doute été arrêté par l'agent des renseignements qui a loué cette même chambre dont la fenêtre donnait sur le logement du clandestin. « J'ai l'impression d'entendre sa voix, de voir cet homme solitaire debout derrière sa fenêtre, les yeux fixés sur le vide de la nuit, seul sans elle, je veux dire la femme qu'il aime, à moins qu'il n'ait... » Le nouveau livre de Hoda Barakat, Courrier de nuit, est composé de lettres jamais arrivées à leur destinataire, tombées entre les mains d'un tiers, lui-même épistolier, et qui tissent une communauté de destins dans le chagrin et l'exil. Femmes et hommes secouant le joug de l'oppression sociale, héros contre un mektoub de violence ou d'amours contrariées. On tente de s'échapper, en vrai, à l'étranger ; ou par des subterfuges : drogue, islamisme... Unetelle attend un amant qui ne reviendra jamais ; telle autre qui, fuyant un mariage forcé, a été acculée à la prostitution, implore l'aide de son frère en prison ; un autre encore, fils gay rejeté par son père, est devenu un sans-abri ; celui-là migrant sans papiers est accusé de l'assassinat de celle qui l'a hébergé.
Le protocole du marabout-bout-d'ficelle, où chaque narrateur se passe le témoin du récit au hasard d'une lettre trouvée, n'est sans doute pas nouveau, mais les voix vibrent d'un timbre plein d'une sincérité singulière, exprimant colère, désespoir, passion avec un juste lyrisme.
Hoda Barakat, née à Beyrouth en 1952 et vivant à Paris depuis 1989, ne cesse, livre après livre, de dépeindre la réalité d'un Liban déchiré par la guerre civile : héritiers de la tradition aux prises avec les nouveaux bâtisseurs (Le laboureur des eaux, Actes Sud, 2001) ; communautés confessionnelles difficilement solubles dans un projet d'Etat moderne (Le royaume de cette terre, Actes sud, 2012). Désir des femmes, répression sexuelle - son premier roman La pierre du rire (même éditeur, 1996) fut l'un des premiers livres en langue arabe avec un protagoniste homosexuel -, l'écrivaine est loin d'être bégueule. La beauté de l'écriture n'enlève rien à la véracité du témoignage.
Courrier de nuit - Traduit de l’arabe (Liban) par Philippe Vigreux
Actes Sud
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 16 euros ; 144 p.
ISBN: 978-2-330-11371-1