On ne mélange pas les créations avec les reprises. Que ce soit dans les dossiers reçus par les structures intervenant dans l'aide aux librairies, ou bien dans les statistiques, la distinction est maintenue. Ainsi apprend-on par le Syndicat de la librairie française que 336 projets de création et reprise ont été référencés sur le territoire entre 2019 et 2022, dont 38,5% de reprises*. 

Pour autant, reprendre, c'est aussi créer. « Parmi les différents types d'opérations que nous soutenons, les reprises et transmissions demeurent une priorité. Il s'agit avant toute chose de pérenniser le tissu existant, et souvent doublement puisque nous aidons non seulement la reprise d'un commerce mais aussi sa redynamisation à travers une nouvelle équipe. Laquelle va à la fois capitaliser sur les atouts de la librairie tout en la faisant évoluer, voire en la transformant très significativement », explique le CNL. 

Reprise collective

Le renouveau arrive parfois par le mode de reprise lui-même, notamment dans le cas d'une reprise par les salariés. Ces derniers peuvent par exemple constituer une holding de reprise, c'est-à-dire une société qui achètera progressivement les parts de la librairie.  « La reprise sous forme de sociétés coopératives est de plus en plus fréquente », constate par ailleurs Olivier Pennaneac'h, chargé de mission Économie du livre au sein de l'Agence régionale du livre Provence-Alpes-Côte d'Azur. Celle-ci peut alors se faire sous forme de SCOP (Société coopérative et participative) - les salariés possèdent au moins 51 % du capital - ou sous forme de SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif), les « actionnaires » pouvant être des particuliers, des collectivités publiques, des partenaires privés, etc. 

C'est par exemple ce qui s'est produit à Brignoles (Var) où, faute de repreneurs pour Le Bateau blanc, la ville a racheté le fonds de commerce afin de le mettre à disposition d'une SCIC, qui s'est constituée en 2021 avec des acteurs locaux. Plus récemment, à Ribérac (Dordogne), les habitants se sont mobilisés pour sauver L'Arbre à palabres. C'est là aussi le montage d'une SCIC, dont les statuts ont été validés en février 2023, qui a permis d'assurer son avenir, les parts sociales étant partagées entre des clients, la communauté de communes et la ville de Ribérac. 

Coupes et synergie

Même en dehors de ces aventures collectives et alternatives, un changement à la tête d'une librairie est toujours synonyme de bouleversements. Et parfois d'inconfort, dans cette quête d'un juste équilibre entre continuité et réinvention. Longtemps, Valérie Horrenberger, gérante de L'Eau vive à Caen, a nourri « une sensation d'illégitimité par rapport à ce que (s)a belle-mère, fondatrice de l'enseigne en 1986, avait semé comme graines » dans le milieu de l'ésotérisme. « Il m'a fallu plusieurs années pour me sentir chez moi et faire évoluer l'assortiment afin de ne plus être uniquement estampillée librairie ésotérique », relate la libraire, actionnaire majoritaire de cette société depuis 2014, dont la créatrice détient encore 10 % des parts. 

Dans le cas d'une reprise par une personne extérieure, la rencontre peut aussi être déterminante dans l'évolution du lieu. « On s'est choisis mutuellement, on s'entend très bien », déclare ainsi Pierre Garrigues au sujet de Patricia Martin, l'ancienne propriétaire du Porte-Plume, à Saint-Malo (voir p. 32). « Je n'ai pas essayé de gommer ce qu'elle avait fait, je l'ai toujours mise en valeur pour qu'il y ait une synergie et que les clients le ressentent », explique cet ancien directeur financier, qui n'a cependant conservé qu'une petite partie du stock de sa prédécesseure, tout en créant un rayon BD/mangas et en multipliant par quatre le rayon jeunesse.

Un coup de jeune sur le fonds, donc, et sur la forme : rénovation, organisation de rencontres dans des cafés ou en entreprise, communication sur les réseaux sociaux... « Il faut préserver ce qui fait le succès de la librairie, mais aussi comprendre ce qui la dessert et ne pas hésiter à faire des coupes », conclut Pierre Garrigues, qui a fait grimper le chiffre d'affaires de près de 40 % depuis la reprise. S. L.

15.03 2024

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