L’histoire n’en finit pas de nous surprendre. Alors qu’on pensait connaître des pans entiers de la Seconde Guerre mondiale, on découvre un épisode stupéfiant grâce au nouveau livre de Louis-Philippe Dalembert. L’auteur haïtien aime vagabonder à travers des contrées et des cultures multiples. Des itinérances qui alimentent sa prose poétique, ses nouvelles, ses essais ou ses romans. L’errance trace la trame de son dernier ouvrage, en adoptant les traits de Ruben Schwarzberg, un médecin né à Lodz, en Pologne. C’est lors de ses études à Berlin que "ce petit israélite à la parole en lambeau" est témoin d’un tournant qui va bientôt dépasser tout le XXe siècle.
"Le passé d’un individu, c’est comme son ombre, on le porte toujours avec soi. Il faut apprendre à vivre avec, à s’en servir au mieux pour avancer." Même s’il est tapissé de blessures cachées. Ruben n’a jamais eu le temps de se pencher sur sa destinée houleuse, il était trop occupé à vivre. Mais suite au tremblement de terre en Haïti (2010), il est amené à se raconter. Alors qu’il semblait promis à un bel avenir, il a connu les griffes nazies. Direction le camp de Buchenwald, dont il est miraculeusement sorti. Cependant, une part de lui est imprégnée à jamais de ces lieux.
Eternellement protégé par sa bonne étoile, le voilà embarqué à bord du Saint-Louis, un navire au sort révoltant. Autant les Cubains que les Américains refoulent les réfugiés juifs qui tentent de fuir le Vieux Continent, et le retour en Europe condamne bon nombre d’entre eux à la mort. Ruben, lui, se retrouve à Paris, où une imprévisible main tendue lui apporte le salut. Fermement opposé à "la politique de ce monsieur Hitler", Haïti promulgue "un décret-loi permettant à tout Juif de bénéficier de la naturalisation in absentia".
Ce fait méconnu inclut une belle leçon de bravoure et d’humanité. Jamais larmoyant, Ruben décrit le choc des cultures et le ravissement d’une "greffe" réussie avec le peuple haïtien. La volonté de l’auteur est d’ailleurs de lui rendre un hommage enchanteur. A l’heure où les réfugiés constituent une actualité brûlante, les questions du foyer et de l’altérité sont ici admirablement traitées.
K. E.