Droits

L’internationale des "fellows"

Reçus chez Albin Michel, les "fellows" invités en mars par le Bief rencontrent ici Maëlle Guillaud, éditrice du secteur français. - Photo Olivier Dion

L’internationale des "fellows"

Les organisations professionnelles des pays invitent de plus en plus d’éditeurs étrangers pour faciliter les échanges de droits. Ces "fellowships", séjours professionnels aux allures de colonies de vacances, se révèlent un investissement utile, notamment pour les petits marchés littéraires.

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Par Isabel Contreras
Créé le 04.04.2018 à 12h07

En Israël, en Allemagne ou en Argentine, mais aussi à Taïwan, en Ecosse, aux Emirats arabes unis ou en Turquie. Rares sont les pays ou les régions qui n’organisent pas aujourd’hui des "fellowships", ces séjours professionnels à l’adresse des éditeurs étrangers. Les destinations se multiplient et, depuis peu, les formats se thématisent, un pays pouvant accueillir plusieurs fellowships dans l’année.

Organisés sur plusieurs jours, parfois une semaine ou même deux, les programmes visent à promouvoir la production éditoriale d’un pays afin de faciliter les échanges de droits. Avec des visites de maisons d’édition, des dîners avec les auteurs nationaux, des activités culturelles et des cocktails, l’immersion se veut totale. A chaque fellowship, sa spécificité. A Paris, où le 8e programme de fellowship organisé par le Bief (Bureau international de l’édition française) s’est tenu du 17 au 23 mars, les 14 responsables éditoriaux ou "fellows" invités ont arpenté les allées de Livre Paris, rencontré les cessionnaires de droits des principales maisons d’édition de littérature française et navigué sur la Seine à bord d’un Bateau-Mouche.

Le même groupe de "fellows", cette fois lors d’une sortie au Quartier latin.- Photo DR/BIEF

En juin, les fellows invités à Jérusalem enchaîneront les rendez-vous professionnels et au passage se baigneront dans la mer Morte, tandis que ceux qui se rendront à Montréal admireront les chutes du Niagara. Les bénéficiaire d’un séjour à Pékin apprendront aussi à préparer des raviolis…

"On nous reproche souvent de partir en vacances mais ce n’est pas du tout le cas. Les journées sont très intenses, constituées de longues présentations et ponctuées de moments plus informels", souligne Nermin Mollaoglu, fondatrice de l’agence littéraire Kalem, basée à Istanbul. Depuis 2012, elle organise un fellowship à l’occasion du Festival international de littérature d’Istanbul. Au moins 50 éditeurs étrangers ont participé à son programme qui met en avant autant de maisons d’édition "au catalogue commercial" que de petites maisons d’édition indépendantes. "J’ai construit ces séjours à partir de ma propre expérience, en m’inspirant notamment du fellowship de Francfort", explique l’agente.

Jérusalem, le pionnier

Créé en 1998, le fellowship de la foire allemande s’est, lui, inspiré du succès de celui de Jérusalem, le pionnier, fondé en 1985. "Au début, il s’adressait aux amis d’Israël, essentiellement des Anglo-Saxons qui ne se rendaient pas à la Foire de Francfort. Aujourd’hui il est devenu une référence", remarque Anne-Solange Noble, directrice des droits étrangers de Gallimard et membre de la commission exécutive du programme israélien.

Trente ans plus tard, les programmes de fellowships sont devenus tentaculaires. "Les petits marchés littéraires se sont professionnalisés. C’est bien la construction de ces réseaux qui rend la valeur des fellowships incalculable", observe Bärbel Becker, chargé de projets internationaux à la Foire de Francfort. Mireille Berman, de la Dutch Foundation for Literature et organisatrice des fellowships néerlandais, confirme: "Notre production littéraire n’est pas gigantesque, elle correspond à la taille de notre pays. Nos visites des principales maisons d’édition à Amsterdam se font à pied. Les fellows saisissent rapidement les subtilités de notre marché et les liens se créent assez vite", indique-t-elle. Et de citer le cas de l’éditrice Claire Do Sêrro, ancienne fellow. Alors responsable éditoriale aux éditions du Sous-sol, elle a acheté les droits de Judas, une chronique familiale d’Astrid Holleeder aux éditions Lebowski. Aujourd’hui devenue la nouvelle directrice littéraire de Nil (Robert Laffont), elle vient d’acquérir un autre titre néerlandais, le premier roman de Sytske van Koeveringe. En 2016, le fellowship néerlandais a proposé un programme thématique à destination des Allemands, à l’occasion de l’invitation des Pays-Bas à la Foire de Francfort. En 2017, il organise le premier fellowship pour les éditeurs de non-fiction et prévoit pour mai un nouveau programme à destination des éditeurs de jeunesse.

A Paris, le nouveau directeur du Bief, Nicolas Roche, souhaite également aller dans ce sens. Depuis 2017, un programme thématique de fellowship Paris-Francfort accueille des jeunes libraires aussi bien que des éditeurs et des responsables de droits allemands. Le deuxième serait uniquement ouvert aux éditeurs de langue arabe.

Retour sur investissement

Jusqu’ici, les fellowships parisiens s’adressaient uniquement aux francophiles et francophones. Mais dès l’année prochaine, la deuxième condition ne sera plus requise. "Les éditeurs peuvent toujours faire appel à des lecteurs s’ils ne lisent pas le français. Cette ouverture nous permettra d’accueillir encore plus d’ambassadeurs", justifie Nicolas Roche. Financé par le Centre national du livre et par les subventions du ministère des Affaires étrangères, dont dépend le commerce extérieur, le fellowship du Bief couvre l’hébergement et les frais sur place des participants. Le transport reste à la charge des éditeurs. Certains hôtes (Pays-Bas, Emirats arabes unis) proposent des séjours tous frais payés.

Le retour sur investissement reste néanmoins difficile à estimer. "Parce que les fellows restent généralement liés à vie, nous calculons les bénéfices sur le long terme", explique Nermin Mollaoglu. De l’importance de créer un réseau solide: les candidatures sont regardées de près. Au point que certains programmes comme celui d’Amsterdam refusent de mettre en place des formulaires d’inscription. "Il n’y a que la motivation qui compte, le but est de former le meilleur groupe", précise Mireille Berman. "Aujourd’hui, tous les échanges se font par mail. Miser sur le contact humain par le biais des fellowships représente un pari. Les foires ne suffisent plus pour présenter des livres, il y a une saturation. C’est pourquoi l’hospitalité du fellowship fait toute la différence", analyse Yoel Makov, directeur de la Foire internationale de Jérusalem.

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