« La mémoire est un lieu, dans lequel se succèdent des portes à entrouvrir ou à ignorer. » Celle qui scelle l'Annexe du Prinsengracht à Amsterdam est associée à jamais à Anne Frank, « la victime de la Shoah la plus célèbre du monde ». Des milliers de visiteurs se rendent chaque année au musée qui porte son nom. Une façon de lui rendre hommage et de se familiariser avec cet univers parfaitement décrit dans ses écrits. « Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachée à huit dans ces pièces exiguës », se demande Lola Lafon. « Ce verbe-là, imaginer, n'a pas sa place dans ma nuit. Pourtant, il le faut... », puisque c'est ce lieu qu'elle a choisi pour s'inscrire dans la collection d'Alina Gurdiel « Ma nuit au Musée ». Une expérience unique, tant la Fondation Anne Frank préserve cet endroit. Ainsi, le 18 août 2021, Lola Lafon rejoint cet abri peuplé de fantômes. Impossible toutefois de dormir dans la chambre de la jeune fille, si omniprésente. Son errance nocturne lui permet malgré tout de s'approcher de cette dernière en saisissant pleinement le destin fascinant du Journal, que Lola avait reçu de ses parents. Cette histoire fait d'ailleurs écho à celle de sa mère, enfant cachée. « Anne Frank, la sœur imaginaire de millions d'enfants ; Anne Frank l'éternelle adolescente », en laquelle tant de gens se reconnaissent. Outre son enfermement pendant la guerre, elle a merveilleusement décortiqué cet âge charnière : les relations mère/filles, l'éveil amoureux ou les changements corporels. Ce dernier aspect étant un thème récurrent chez Lafon. « Le corps, dans l'Annexe est un corps privé de lumière, d'air, de mouvement. Un corps soumis à toutes les angoisses. S'habitue-t-on à être en danger ? » Difficile d'y répondre, mais Lola a commencé à écrire à 8 ans pour imiter la jeune Frank. En évoluant dans son antre, l'autrice parle d'« Anne, mais cette fausse intimité me met mal à l'aise » car elle « n'est ni une proche, ni une amie. Anne Frank a été drôle, futile, adolescente, en dépit du reste. Ce reste qu'elle n'a pas pu écrire. » Tel est le point névralgique du livre, qui souligne l'importance de son écriture. Son best-seller mondial, vendu à plus de trente millions d'exemplaires, « n'est pas un simple journal intime ou un testament ». Il constitue la véritable œuvre d'un écrivain ! Une jeune fille qui a réalisé, un jour, que son travail de scribe intime pouvait laisser une empreinte historique. Alors, à l'instar d'Anaïs Nin, elle a repris l'ensemble de ses cahiers pour les transformer en récit littéraire. Un travail méticuleux qu'on peut suivre à la lettre dans la version intégrale, publiée par Calmann-Lévy. La spécialiste et amie d'enfance d'Anne, Laureen Nussbaum, pointe qu'« elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. Elle n'est pas un symbole ». Juste une « autrice prodige », dont les mots et l'optimisme nous portent toujours. « Quand je regarde le ciel, je pense que cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. » Anne Frank n'a pas pu être sauvée, mais son Journal lui survivra pour l'éternité.
Quand tu écouteras cette chanson
Stock
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 19,5 € ; 256 p.
ISBN: 9782234092471