Avant-critique Récit

Filles perdues. Ce sont deux filles. Deux filles éclatantes, irrémédiablement perdues et souillées aussi. Deux enfants que nul n'a su aimer, protéger, réconcilier. D'abord, il y a selon l'expression consacrée, une « petite fiancée » de l'Amérique, des fans, des hommes. Princesse de la pop, la belle affaire. Britney Spears, de la belle aube au triste soir, celle que Jean Rolin, pour les besoins d'un roman (Le ravissement de Britney Spears, P.O.L, 2011), imagina enlevée. Et puis il y a cette figure de la douleur, de la mélancolie noire, figée par le deuil et le temps, Nelly Arcan (1973-2009). Autrice brûlée au feu de sa tristesse, de l'obscénité du monde, jusqu'au suicide. Et enfin, il y a elle, une autre fille, une autre femme, Louise Chennevière, dont le précédent livre avant ce Pour Britney, le splendide Mausolée (P.O.L, 2021), redonnait à l'amour fou les couleurs de la littérature.

D'amour, d'amour vrai, il ne sera cette fois-ci question que de son manque. Tout ne sera plus alors que désert et désir. Britney et Nelly, sœurs d'infortune, apparues toutes deux (différemment, cela va de soi) sur la scène publique au commencement de ce siècle. Toutes deux immolées sur le bûcher des regards impurs des hommes, des pères, des grands-pères, des fils. L'éternel retour de la bonne conscience phallocrate. « Tout le monde s'insurge de la voir, embrasser sans hypocrisie, ce devenir-putain auquel elle avait depuis toujours, été condamnée elle qui, s'était avancée sur la scène de ce monde-là, qui est un théâtre et elle allait y tenir si bien son rôle, en tenue d'écolière et vous savez la suite, ce regard. » Comment a-t-on pu supporter ça, ces questions égrillardes, ce voyeurisme pour barbons excités, cette société du spectacle dans ce qu'elle a de pire, semble se demander Louise Chennevière, sans omettre de s'inclure dans cette interrogation. Ce qui d'ailleurs fait le prix de ce cri de colère douloureux qu'est Pour Britney, écrit comme en une seule même longue phrase, haletante, puissante, épuisée, c'est de voir son autrice aller elle aussi à la corne du taureau, jouer sa peau. Ce n'est pas qu'elle soit Nelly ou Britney ; c'est que son absence auprès d'elles (n'ayant découvert l'œuvre de l'une que tardivement et s'étant trop vite désintéressée de la chute spectaculaire de l'autre) est ce qui fonde ce texte, prétend à la réparation tout en sachant qu'on ne répare jamais rien.

Louise Chennevière
Pour Britney
P.O.L
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 15 € ; 142 p.
ISBN: 9782818061381

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