Soleil de novembre, programmes pléthoriques et nouveau record de fréquentation à 857 000 visiteurs : la 37ᵉ Feria internacional del libro (FIL) de Guadalajara s’est refermée dimanche 3 décembre après une semaine d’une rare densité. Et pour cause, en cette année spéciale marquée par la mort en avril de Raúl Padilla Lopez, président fondateur de la deuxième foire du livre du monde, les 27 pays de l’Union européenne étaient invités d’honneur.
Une mise en valeur exceptionnelle qui a profité à la délégation française s’étant rendue dans l’ouest du Mexique. En plus du stand commun de l’UE, le stand du Bureau international de l’édition française (Bief) représentait près de 70 maisons d’édition et proposait 950 titres à la vente. Parmi les stars des ventes : Pascal Quignard, Neige Sinno, David Foenkinos, Leila Slimani… « On ressent aussi toujours l’effet Nobel pour Annie Ernaux », note Christina Karavias, responsable de projet au Bief. « Nous sommes revenus à des niveaux d’avant-Covid », ajoute-t-elle, se réjouissant notamment des commandes passées par les bibliothèques américaines.
Côté jeunesse, c’est un prénom qui revient sur toutes les lèvres : « Mortèle Adèle : c’est de la folie ! » s’enthousiasme Julieta Salgado de la Libreria Francesa de Mexico, partenaire du stand. « Sans oublier les grands classiques comme Astérix ou Le Petit prince… : le livre français attire toujours autant », ajoute-t-elle, les traits marqués après 10 journées lors desquelles le stand français n’a pas désempli.
La FIL 2023 en chiffres
« Une atmosphère joyeuse et chaleureuse »
La satisfaction y était donc de mise, tant au niveau des ventes, que de la quantité et de la qualité des échanges de droits pour les professionnels. « Les rendez-vous sont toujours de grande qualité sur place pour les éditeurs français. Originalité de la FIL : l’agenda des cessionnaires de droits est quelquefois peu rempli avant de faire le déplacement, mais les rendez-vous avec les éditeurs se prennent et se font sur place, dans une atmosphère joyeuse et chaleureuse », résume Nicolas Roche, à la tête du Bief, pour qui les échanges avec les acteurs hispanophones restent « soutenus » avec 1130 contrats réalisés du français vers la langue espagnole en 2022, au troisième rang des échanges de droits entre éditeurs français et internationaux.
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Un point de vue partagé par les éditeurs et responsables de droits présents. « Une fois sur place, mon agenda s’est vite rempli », constate Barbara Angerer, responsable des droits étrangers chez Gallimard. « J’ai pu faire des rendez-vous avec une bonne vingtaine d’éditeurs, sans compter les échanges directement sur les stands, autant avec des grands acteurs établis comme le Fondo de Cultura Económica, Siglo XXI, Anagrama et Planeta Mexico, mais aussi avec des éditeurs indépendants de toute l’Amérique latine comme Canta Mares, Sexto Piso, Almadía, Elefanta… », raconte-t-elle, précisant être aussi venu pour mieux comprendre l'organisation de la distribution sur le territoire de l'Amérique latine. « Dans ce contexte, j’ai pu avoir des conversations très instructives avec les distributeurs eux-mêmes (Océano, Sexto Piso, Colofón), avec des éditeurs et aussi avec le libraire de l’impressionnante librairie Carlos Fuentes, la plus grande du Mexique, que nous avons visitée avec le groupe de l’Union Européenne », ajoute-t-elle.
Chez les éditions de l'EHESS, quelques ouvrages ont particulièrement retenu l'attention internationale : des grandes signatures de la philosophie et de la sociologie (Bourdieu, Foucault) à Une conversation d'Annie Ernaux et Rose-Marie Lagrave. « Le cas Ernaux est atypique. Avec ce titre, ce sont 7 500 exemplaires qui ont été vendus en seulement quelques mois, en France », confirme Iulian Miron, responsable des droits étranger.
Pascal Quignard, Neige Sinno, David Foenkinos...
« Les professionnels français ont joué le jeu de l’invitation de l’UE, et j’ai remarqué des stands de pays qui ne venaient pas jusqu’à présent : c’est une grande année pour la FIL », résume aussi Mathieu Boyce, coordinateur culturel d’une Ambassade de France au Mexique très impliquée sur la FIL 2023, finançant la venue d’éditeurs et organisant nombre de lectures avec des auteurs français.
Parmi ces derniers : Pénélope Bagieu, Olivier Guez, Neige Sinno, David Foenkinos, Nina Yargekov... Des artistes français faisaient également partie de la programmation musicale du salon, à l’instar du musicien Waxx ou des DJ Warum et Chloé.
Pascal Quignard, venu présenter son roman L'Amour, la mer, à l'occasion de sa sortie en espagnol chez Sexto Piso, a de son côté fait plusieurs fois salle comble, enthousiasmant le public. « Grâce à eux, je sais que j’ai bien fait de venir au Mexique », glisse-t-il malicieusement après un bain de foule avec la presse mexicaine. Au total, ce ne sont pas moins de 70 auteurs européens qui se sont rendus sur la FIL 2023.
Le paradis des professionnels
Plus globalement, pour les éditeurs du monde entier, la FIL a confirmé son rôle de passage obligé et d’immense terrain de nouvelles idées et de formations. En témoigne une programmation professionnelle à donner le tournis, s’étirant sur cinq journées et 182 tables rondes.
Parmi les thèmes stars de ces journées : l’intelligence artificielle, bien sûr, le webtoon, les nouvelles stratégies de collaborations entre éditeurs, ou encore un forum autour du livre électronique. « Tout cela dans un seul but : atteindre de nouveaux lecteurs venant de nouvelles sphères, de nouveaux territoires », résume Ismael Gomès Garcia, directeur digital de l’OEI (Organization of ibero-american states for éducation, science and culture). Parmi les débats : inventer le futur de l’édition, notamment via le marché des NFT. « Pourquoi le livre ne s’y lancerait pas à fond ? Ce pourrait être une alternative au monopole des grands groupes éditoriaux, un nouveau marché propre autant qu’un nouveau modèle de négociations des droits », a par exemple lancé Yehudit Mam, autrice et créatrice d’une plateforme d’échange de livres en NFT.
Les journées professionnelles ont également été l’occasion pour les grandes associations mondiales d’éditeurs, auteurs, libraires ou encore bibliothécaires de tenir leurs forums annuels et dévoiler des rapports. L’Association internationale des éditeurs (IPA), a ainsi dévoilé lors d’une conférence de presse son Global publishing industry 2022 by the World intellectual property organization (Wipo) et ses International publishing data 2023, donnant à voir « l’aperçu le plus complet du marché international du livre disponible en 2023 », d’après Karine Pansa, sa présidente.
À noter aussi la présence de nombreux éditeurs argentins, inquiets de l’inflation galopante que connait leur pays et de l’élection de leur nouveau président Javier Milei, voulant notamment abolir le ministère de la Culture.
Grand public : une programmation infinie
Enfin, côté grand public, une organisation sans faille était requise pour pouvoir assister ne serait-ce qu’à une toute petite partie d’une programmation faite de centaines de lectures et rencontres auteurs (venant de 50 pays différents), et incluant des « salons dans le salon » : salon du comique et du roman graphique (sur 4 jours), salon de la poésie, salon du livre jeunesse (FIL Ninos), FIL Littérature, FIL Science…
Des stands gigantesques chez Hachette Livre Mexico, Grupo Planeta, Penguin ou Educal, jusqu’à ceux des plus petits éditeurs indépendants publiant de jeunes poètes d’Amérique latine, en passant par les stars de la littérature jeunesse hispanophone, le choix semblait infini. De quoi donner aux visiteurs de la plus grande manifestation culturelle du monde hispanophone l’envie de revenir l’année prochaine… munis du don d’ubiquité.